L’Enigme du Terroir
par Budry Rinchère Daniel
Publié sur : http://www.lemondeevangelique.com/coinculture.302.htm
dans les colonnes de Haïti Observateur, Edition du 12 Mai 2010
et sur http://www.poetasdelmundo.com/Poetas/7381/Budry Rinchère Daniel
Chant I
Vagues souvenirs
Je te retrouve dans la trajectoire de tout ce qui mue
Chose effacée qui se révèle dans la pudeur des émotions
Te voilà qui transcendes l’espace des passions
Et qui te manifestes quand le destin embrasse et tue
Terre malaisée aux reliefs agités qui éprouve
La constance et ausculte les chimères
Terre jadis plantureuse qui se retrouve
Dans l’instinct des choses éphémères
Quand les vibrations étranges de la fatalité
Pourchassent le mirage des attaches aléatoires
Te voilà qui t’embrases de subtilité
Et patauges dans des tendances illusoires
Ressens-tu les secousses
Des heures indiscernables
À travers le grattement des cordes
Que sous-tend le chevalet
Perçois-tu l'inflation enharmonique
Dans la propagation des sonorités interdites
Et la liturgie languide du thrène
Qui éparpillent en embruns
Les accents chiffonnés
Du spectre des partiels
Chant II
Imaginaire spectral
Comme les grues migrant vers le Sud
Laissent dans leur traînée
Le miracle enchanteur des eaux figées
Par l’hivernage assombri
des pelouses d’automne
Je me soustrais à la vision intérieure
de ce tout qui s’enfuit
et me laisse emporter
au-dessus des plaines alluviales
pour scander les mouvements vibratoires
des caprices de la nature au soleil
Dans la chorégraphie de cette danse
entrecoupée de haltes et de cadences
qui fécondent et réchauffent
inoculé du venin de l’absence
je m’effondre
dans le drame épouvantable
de la distance
pour tenter de survivre
aux artifices des revers
Je retrouve le domicile anéanti
au-delà des visions illuminées
où les mirages sont bafoués
les illusions perdues
La réalité rendue confuse se fourvoie
dans la masse immonde et poisseuse
des leurres qui t’ont rendu inerte
tuméfié couturé d’appas
Tu ne te reconnais plus
Terre revêtue de pourridié
Les eaux t’ont inondée
Les eaux t’ont submergée
Tu n’es plus sur l’autel du tabernacle
parmi les reliques sacrées qui honorent
les suprêmes instants
du balancement des gerbes
Chant III
Abstraction dans l’harmonie
Dans l’effritement de la gamme
j’adopte la verticalité de l’harmonie
Je fugue le phrasé du lamento
tandis que les magmas de la frénésie
jaillissent dans le pizzicato
des ondes fulminantes
Je me reconnais défricheur de la brousse
au rythme des nocturnes mélodiques
pour bêcher le domaine
dans l’imaginaire spectral
de la tonalité perceptible
des cordes du délire
Terre de rien
Pourquoi s’agite le transitoire
Y a- t-il un havre d’accalmie
et de rafraîchissement
dans le déchirement entropique
de l’inharmonie
quand bourgeonne
la spirale des formants
et tourbillonnent les sonorités
dans les harmoniques entretenus
Terre retrouvée dans le vide
tu as connu la perplexité des secondes
dans les avatars d’angoisses
et de fantaisies
quand les ombres valsaient
dans la contraction des ondes
Des abysses revenue
tu te révèles enfin
comme une brume subtile
qui valse dans les méandres de l’oubli
Par un enjouement de ton enthousiasme
les faveurs du moment
ayant perdu leur éclat
tu t’es libérée de la flambée
pour mettre à nu la face drapée
de l’inévitable
Dois-tu partir avec perfidie à la trouée du matin
dans le déchirement des moments du déclin
Terre à jamais submergée dans l’océan du travers
où périssent déjà les asservis aux instincts divers
Chant IV
Manèges
Le persifleur des heures indues
d’un air de bon apôtre
lance ses effluves méphitiques
puis les endort en retrait
pour continuer les manèges de sa facétie
Il est mis à nu
le persifleur des heures indues
Ô contour inanimé
attente tarie
Les temps le reconnaissent
Les temps le reconnaissent
au carrefour des oublis
Faut-il que les yeux se dessillent
que la vérité soit encensée
pour que l’ambigu soit effeuillé
Faut-il fendre les eaux de l’existence
pour que le luxe sacré
de la purification ranime
de cette apraxie harmonique
qui afflige et dévaste
Chant V
Sortilège
Le Négus des prairies
et des ouches de la plaine
largue les périanthes protecteurs
de ses loges
pour exercer son pouvoir
- Où sont-ils les faucheurs noctambules
crient les butineuses avenantes de la nuit
Cerbères entêtés
ces fillettes Lalo
se montrent partout
comme des pages intrépides
veillant sur les gués de la mort
la mort du Schibboleth
au temple outragé de minuit
pratiquant leur rite ténébreux
comme les initiés Boaz Jachin
qui établis dans leur vigueur
jurent fidélité au clan Tubal-Caïn
Ô secrets des perfides
mensonges des nuits damnées
qui hantent les sadiques
sombrés dans leur débauche
et retiennent les galériens confus
à la passion des Macoutes
Au milieu du cercle des orgies de minuit
le vieux houngan des abysses
affublé d’une chasuble noire
et de nœud papillon
s’arme du thyrse de serpents entrelacés
pour conjurer l’astre sombre
tandis que sa souffrante
au bord de la démence
vibre dans l’effacement
craignant la moindre carence
Chant VI
Infamie
La Terre de l’illusion récupérant
le dernier souffle de son agonie
se perd comme un oiseau désespéré
dans la brume vespérale
des heures incongrues
Elle n’est plus qu’une page
qui ne se lit pas
une lueur qui circule
qui circule dans l'opacité de la nuit
une âme de vapeur qui résiste et tient bon
pendant la gîte de risque
et les contraintes du périple
En vacillant ça et là
par les secousses et les vibrations
qui t’anéantissent
tu t’abandonnes à toi-même
tu suis le cours de la fatalité
alors que le fascinateur de la nuit arctique
se tue de constance
œuvrant à effaner les fleurs de l’avenir
Étendue sur ce pan d’arc-en-ciel
dans sa sublimation
te voilà révélée
aux entrelacs de l’indécence
exposant tes linges sales et tes défécations
aux détracteurs de tes souches
Chant VII
Futilité
Pénétré d’effluves et de clair-obscur
le poète s’accroche follement
au parfum calme et doux
de pommes cajou
de mangues mûries
gaulées des mornes
arborés et fleuris
pour languir après les souvenirs
des présences vaincues
Il n’en est rien
pourtant il n’en est rien
Tout est fardé de cendres
des heures futiles et voilées
du lendemain des jours gras
Elle est fardée d’argile
de mensonges
de simagrées
pour solliciter des caprices
et des élans de passions
Il n’en est rien
Ce ne sont que des fleurs mutilées
tordues et déchirées
parsemées dans le vallon des félicités
dans un gisement de chair et d’ossements
exhalant une odeur
de charogne infecte et pénétrante
Cela sent la mort
Il n’en est rien hélas il n’en est rien
Le victimaire a fait brûler la chair
sur la pierre des libations
Incapable de réagir
la terre paumée désemparée
est désormais retenue
par les fluides grossiers
de cet être absurde
Les effets pernicieux
de ce maître Legba
Chant VIII
Dans les vapes
Maîtrisé dans son abrutissement
du haut de son orbite
le poète succombe aux feux
des présences vaincues
Cette coupe d’humeur se verse goûte à goûte
Je l’ai humée goûte à goûte
la glaire de tes entrailles
J’ai mangé les fruits charnus
de ta lippe ensoleillée et fleurie
J’ai mangé le baiser simulé
Tout l’effet de ton être et de ta conscience
empiète sur la raison et embrume
les valeurs qui semblent
s’évanouir dans mon intimité
Au gémissement des rejetons
de la brousse effondrée
les versants escarpés et raboteux des mornes
confrontant les remous
de la mer épuisée
s’écroulent au fond des limbes miséreux
de contrastes et d’épreuve
Chant IX
Soliloque
Dans l’effritement de la gamme
les arias me tiraillent et m’accablent
Les accents inaudibles du spectre des partiels
m’occupent et me chiffonnent
Je les entends je les sens
dans ma peau dans ma tête dans mes veines
dans mon corps dans mon âme
Ils sont rondes ils sont croches
Ils sont dièses ils sont bémols
Ils sont diatoniques
Ils sont des nuances les plus vives
et je ne puis les identifier
car déjà la nuit du merveilleux
s’éveille autour de moi
Je l’ai humée goûte à goûte
la glaire de tes entrailles
J’ai mangé les fruits charnus
de ta lippe ensoleillé et fleurie
En savourant la cadence du charme
j’ai savouré la pomme tabouée
Les instances accablant les attentes
le cœur en lambeaux
je repars avec la coupe de mes râles
recueillis comme un baume
aux affres de mes pleurs
pour rafraîchir la prairie en friche
Mon être ainsi perdu
dans l’antre du collapsus
s’est penché
sur les blessures de l’espoir
que j’ai froissé
dans mon indulgence
En faucardant l’ivraie
essouchant la lande aux viornes
j’ai profané la vertu
dans le désastre de la moisson
Chant X
Illumination
Je me reconnais défricheur de la brousse
au rythme des nocturnes mélodiques
pour bêcher le domaine
dans l’imaginaire spectral
de la tonalité perceptible
des cordes du délire
Dans l’effritement de la gamme
j’épouse la verticalité de l’harmonie
De la bétoire de la raison
de la bétoire de la passion
je recrée mon quantum d’ouverture
pour engendrer la formule de l’esprit
et retrouver la gerbe d’où jaillit la vertu
Elles ont gardé leur pureté
les eaux vives de l’Artibonite
Elles ont perduré dans leurs gaves abondantes
Elles ont recueilli le jus des grappes amères
que j’ai cueillies dans mes transes
Elles ont connu des saisons de furie
Dans l’effusion de la candeur
les eaux boueuses ont traversé leurs couches
L’Artibonite en a bu pour ajuster sa purge
et bannir les couches paranormales
des nocturnes de la brousse
Les lèvres souillées de sang
le sadique tortionnaire
des nocturnes bucoliques
sacrifie la passion
sur l’autel des affinités
Avide d’acquêts de faste et de galanterie
la flore de la brousse s’éparpille
et s’enfuit dans le temps
Dans sa frénésie elle s’envole
vers de nouveaux émois
La candeur est violée
l’amour est immolé
la décence sauvegardée
Chant XI
Apothéose
Par cognition illuminée
j’ai retracé l’errance
pour retrouver mon circuit
au sein des paysages juvéniles
En explorant mes nuits d’équivoques
je suis revenu vers le Logos
La praxis m’est révélée
Je me retrouve défricheur de la brousse
au rythme des nocturnes mélodiques
J’ai tiré les noues des écumes rageuses
J’ai bêché le domaine
J’ai recréé les tierces
j’ai recréé les ondes
dans l’imaginaire spectral
de la tonalité perceptible
des cordes du délire
Dans les revers de l’existence
j’ai épousé la verticalité de l’harmonie
Scellé du baiser du dogme
j’ai reçu le baiser de la vie
pour recouvrer le champ d’amour
et contempler la nouaison d’une lande nouvelle
Plaine de l’inconnu
dans la course du temps
on a pourtant trop vu
Le siècle a déjà vécu
les jours de mille ans
J’ai déchiffré l’énigme
J’ai reconnu la promise
J’ai reconnu
j’ai reconnu
la lande d’ormes
les ormes du vallon qui renaissent
de l’ondée du dogme jaillissant
À la trouée de l’éclaircie
je vois la lande bien-aimée
se réveiller de son abattement
parmi les fleurs de la brousse violée
Lande de l’inconnu
dans la course du temps
on a pourtant trop vu
Le siècle a déjà vécu
les jours de mille ans
Ô Lande bien-aimée
Chant XII
Épilogue
Les nœuds lunaires suivant
le tracé de leur itinéraire
sans heurt lâcheront
leurs faisceaux obscurcis
sur les calanques arides des Cahos
où les pousses fragiles
jurent de reverdir les monts
Au son des conques de lambi
les enfants de la Terre
taisant ventres et folies
dans un coumbit éternel
s’uniront
pour défricher la terre
et la sauvegarder
Les ormes du vallon renaîtront
de l’ondée du dogme jaillissant
1. Fillette Lalo, la diablesse dans le langage haitien. Les sinistres miliciennes privées de François Duvalier
2. Schibboleth: Mot hébreux dans la Bible. Livre des Juges XII, 6
3. Le mot "Tonton Macoute" doit son origine au personnage folklorique du vieux paysan haïtien, qui portait un costume bleu et rouge et un grand sac fait en sisal, en bandoulière appelé « macoute ». Dans la tradition haïtienne, ce personnage faisait peur aux enfants. Sous le gouvernement de Duvalier, les macoutes étaient des sbires qui exerçaient des violences et des basses besognes à la solde de Papa Doc.
4. Houngan: Prêtre du vaudou
5. Papa Legba, dans le vaudou haitien, occupe la fonction d'intermédiaire et de messager des dieux appelés loas.
6 Artibonite: Le plus long fleuve d’Haïti.
7 Cahos: Chaîne de montagnes d’Haiti
8 Lambi: un mollusque que l'on mange beaucoup aux Antilles
9 Coumbit: Coopérative et solidarité des cultivateurs