Bon, quelque chose que j'ai écrit dans le courant de l'année scolaire - pour le français comme vous voyez. Je l'ai un peu retravaillé car ça s'imposait. Je l'avais à l'origine posté ailleurs ; je le mets aussi ici.
On nous demandait une "suite" à la nouvelle du
Horla de Maupassant. Je ne me souviens plus des consignes mais voici le texte.
Par contre, j'ai mis le mot "FIN" par défaut, car je ne sais pas trop comment terminer cet incipit.
Je crois que c'est tout. Je vous laisse lire maintenant.
C'était à l'aube d'un jour brumeux de septembre. Le 10, peut-être... A moins que ce ne fut le 11 ? Mais pour Georges, la date importait peu. Tout ce qui comptait, c'était ce qu'il voyait à l'instant ; ce qu'il ressentait face à ce spectacle désolant. Cette impression d'oppressemment et comme si la mort rôdait alentour. Cette impression qu'il avait d'être perdu dans une sorte d'ailleurs innomable. Et ce froid - mon Dieu ce froid ! Ce froid insidieux qui pénétrait jusqu'à ses os et les tréfonds de son âme.
On lui avait dit que l'endroit était beau autrefois : une demeure aux proportions immenses et écrasantes - l'une des frasques et grandeurs d'un temps à jamais révolu - maintenant héritage en ruines. Tout ce qui restait, c'était le parc. La propriété en elle-même ne consistait plus qu'en quelques restes calcinés, créant l'impression d'un vide. Ou d'une antre vers les enfers cachée sous les décombres, selon le point de vue. Le temps s'était comme arrêté : pas de chants d'oiseaux, ni aucun des bruits habituels en provenance de Rouen, ville pourtant toute proche. La Seine elle-même semblait figée comme dans un tableau. Le lourd brouillard qui bouchait le ciel étouffait tout.
Il frissonna, rajusta le col de son vieux pardessus, tentant vainement de se réchauffer. Mais rien à faire : l'air glacial était sans pitié, cruellement inévitable. Et toujours, toujours ces ruines fantômatiques, taches noires émergeant de la brume, qui ne disparaissaient pas à ses yeux.
Son ami l'observait, passablement inquiet. Georges tenta de le rassurer par un faible sourire - qui ne sembla d'ailleurs pas le convaincre.
- Si tu te sens mal, tu peux toujours rentrer, tu sais ? proposa Bernard, brisant ainsi le silence pesant qui s'était installé.
- Non, vraiment ça ira...
- C'est toi qui décides. Mais je refuse de te voir tourner de l'oeil si on tombe sur un reste de corps calciné !
Georges eut un infime haussement d'épaules pour lui faire comprendre qu'il n'en avait cure. Son ami secoua la tête en réponse. Ce n'était pas les cadavres qui le gênaient. Et pour cause ! A chaque fois que Bernard avait (ne serait-ce qu'un début) de grand-titre, il filait ventre-à-terre vers les lieux du drame ! Son patron le félicitait d'ailleurs de sa rare efficacité. Georges, lui, le remerciait de l'emmener dans ses périples aux quatre coins de la France - même si, en contre partie, il avait droit à son lot de cadavres et bonnes gens éplorées.
Non... Il y avait quelque chose de mauvais dans l'atmosphère qui l'inquiétait. Il avait aussi la vague impression d'être suivi et cela le rendait nerveux. Loin de partager son trouble, Bernard rentrait la tête dans les épaules à cause de l'air glacé et de l'humidité qui refroidissaient considérablement son enthousiasme journalistique. Pour manifester sa mauvaise humeur, il maugréait sans discontinuer dans sa barbe taillée de frais des choses qui ressemblaient à : "Foutu brouillard !", "Fichu pays !", "... plus jamais revenir !"... C'était d'ailleurs les seuls sons que Georges percevait, outre les couinements de leurs chaussures dans l'herbe mouillée.
Il releva la tête pour jeter un rapide coup d'oeil aux restes couverts de cendre de la demeure. Bizarrement, elle lui faisait penser à son propriétaire. Ils avaient pu le rencontrer le matin même et l'avaient trouvé dans une sorte de délabrement mental assez surprenant. Il avait refusé de répondre à la moindre question et se souciait seulement de quelque chose comme un journal intime (à première vue) dans lequel il écrivait frénétiquement. Le seul moment où il avait daigné leur porter son entière attention avait été très étrange. Un des anciens domestiques rescapé avait fini par accepter, une fois convaincu par une somme d'argent assez conséquente, de les mener à l'ancienne demeure pour leur expliquer comment était celle-ci préalablement à l'incendie. Son maître avait soudainement levé la tête, alors que le marché était sur le point d'être conclu :
- N'y allez pas ! Je suis sûr qu'il est toujours en vie, tapi quelque part. S'il y est encore, l'un de vous connaître un enfer égal au mien. N'y allez surtout pas !
Sa déclaration les avait surpris et tous lui avait jeté un regard incrédule. Il avait continué encore quelque temps à marmonner sa dernière phrase en boucle d'une voix erraillée, l'air hagard. Finalement, personne n'avait tenu compte de son intervention. Tous finirent par croire à une folie engendrée par ces événements bouleversants ou seulement qu'il était trop choqué pour être cohérent. Ce fait continuerait bien, en tout cas, à alimenter les ragots et rumeurs en tout genre. Un tel malheur - pour un homme qui auparavant nageait dans la richesse et le bien-être - ferait le plaisir des bons français lisant les nouvelles du matin. La sorte de démence de l'infortuné ne pouvait qu'ajouter du piment. Le pire, c'était que ce propriétaire accablé était soupçonné d'avoir mis lui-même le feu à sa maison ! On aurait retrouvé des traces d'huile dans une pièce entière, propres à déclencher un incendie de belle ampleur. Le suspect ne s'était pour le moment défendu contre aucune accusation. On n'en pouvait d'ailleurs rien tirer à part quelques phrases inintelligibles.
Georges décida résolument de ne plus penser à tout cela. Ils arrivaient près des décombres lorsqu'il lui sembla entrapercevoir un mouvement. Il focalisa immédiatement toute son attention sur la pierre qui avait bougé. Oh, c'était infime, mais il était sûr de lui. De nouveau, il vit. Cette fois-ci, quelques gravillons dégringolèrent doucement. Il crut que son coeur venait de rater un battement. Il osait à peine remuer.
- Mon Dieu ! Bernard ! Tu as vu ce que j'ai vu ?
- Hein ?! grogna la personne concernée.
- Regarde ! Mais regarde, bon sang ! s'exclama-t-il en pointant du doigt le pan de mur écroulé.
Mais il ne se produisit plus rien. Tout était absolument immobile, figé. Georges gardait tous ses sens aux aguets. Après quelques minutes d'un silence pesant, il se prit à douter de ce qu'il avait entrevu - à moins que ce ne fut "cru" entrevoir ! Bernard le regarda de travers, l'air soupçonneux.
- Je crois que ces événements t'affectent plus que je n'aurais pensé. Depuis tout à l'heure, tu sembles nerveux, mais là... Tu as l'air halluciné. Tout ce que je vois c'est des tas de pierres : rien qui porte à paniquer comme tu le fais.
Sa voix était lourde de reproches et ses yeux exprimaient de sérieux doutes ; doutes portant probablement sur la santé mentale de Georges. L'intéressé préféra s'abstenir de tout commentaire, baissant les yeux : son ami n'avait pas encore "digéré" que leur pseudo-guide les abandonne en tremblant devant la grille. Ils avaient seulement eu droit à un croquis aux traits grossiers et fait de manière hâtive pour seules indications.
En soufflant et râlant de dépit, Bernard se planta d'un air de défi devant la maison et commença son fastidieux travail ; le coeur n'y était visiblement pas. Georges ne tenait pas à rester en sa compagnie alors qu'il se montrait aussi sympathique et éloquent qu'un ours. Il préféra aller contempler l'ombre de ce qu'avait été le parc. Il tâcha ainsi de s'éloigner quelque peu de la maison, sous prétexte d'aller observer un massif encore intact. Il voulait atténuer le sentiment de malaise que lui procuraient ces ruines.
Au bout d'une heure de labeur, son devoir accompli et un début d'article prometteur en poche, Bernard décida de revenir sans s'attarder davantage, contrairement à son habitude. Soulagé, Georges ne tarda pas à le suivre sans protester.
Lorsqu'ils arrivèrent enfin à leur hôtel, il était tout juste 11 heures. Georges regarda distraitement la pendule et soupira en voyant qu'ils devraient encore attendre deux bonnes heures avant de quitter la région. Le fiacre qui devait les ramener aurait peut-être même du retard à cause de l'orage qui semblait couver au dehors. Pour l'instant, seule la pluie se déchaînait sur Rouen, martelant la vitre sans discontinuer. Bernard, enfoncé dans un gros fauteuil, n'avait pas l'air à son aise. Il se sentait fiévreux et légèrement nauséeux. Devant encore passer voir le propriétaire il s'était changé en hâte mais sans les gestes énergiques habituels ; maintenant il profitait du court répit dont il disposait encore avant de repartir en cavale, cahin-caha et sans guère d'enthousiasme.
Trois coups timides furent toqués à la porte. Ce bruit anodin les fit pourtant sursauter l'un comme l'autre. Masquant son trouble et son air passablement fatigué du mieux possible le journaliste se leva avec regret pour aller ouvrir. Georges le vit s'engager dans le couloir, entendit le cliquetis de la chaîne suivit du bruit étouffé de la porte qu'on ouvrait. Il perçut quelques bribes éparses et confuses des paroles qui s'échangeaient en essayant vainement de trouver un quelconque intérêt aux dégoulinades grisâtres du dehors. Au bout de cinq minutes, Bernard vint reprendre sa place, la figure blême. Il se laissa tomber sans ménagements dans le fauteuil qui gémit sous le choc.
- Qui était-ce ? questionna Georges d'un ton qui se voulait détaché. On voulait te voir au sujet de l'article ?
- Rien. Ce n'était rien... Juste un gosse auquel on avait dit de m'annoncer que je ne pourrai plus rien tirer du propriétaire : l'imbécile s'est suicidé.
- Comment ? Tu plaisantes j'espère ?
- Non...
Il avait l'air sombre et sa voix était lugubre. Georges finit par conclure à part soi et sans vraiment trop y croire que la nouvelle étant des plus innatendues elle annéantissait sûrement les derniers espoirs de son ami quant à pouvoir encore tirer du propriétaire quelque anecdote intéressante. En conséquence, il s'abstint de tout commentaire et fit mine de s'intéresser au grand titre du journal trônant sur la table basse - dont il finit par se saisir afin de se donner une contenance.
- Peut-être qu'il avait raison... marmonna son ami.
- Pardon ?
- Peut-être qu'il y avait vraiment quelque chose de "tapi" dans les décombres de cette maison.
- Arrête avec ces sottises, tu es ridicule ! Il est devenu fou à cause du choc et il délirait un peu, voilà tout. Ce doit être la fièvre qui te fait dire ça, l'apostropha Georges avec autorité.
Lors du trajet de retour vers Rouen, il s'était astreint à envisager les récents évènements d'un point vue aussi rationnel que possible, en ne se permettant pas la moindre incartade qui tende à lui faire accroire à une intervention pour le moins fantastique. Ses frayeurs s'en étaient retrouvées considérablement diminuées, même si un insidieux malaise se rattachait encore à ce qui n'était maintenant plus que souvenir. Il n'aspirait maintenant qu'à oublier cet endroit glauque et la scène qui s'y était déroulée, quitte à se convaincre d'avoir mal vu. Sans doute l'air de mort qui régnait avait influencé son imagination trop vagabonde, lui inventant des chimères en partant d'insignifiants détails qui ne portaient pas à déraisonner en y prêtant une attention lucide.
Georges jeta un coup d'oeil discret à son compagnon. Celui-ci n'avait rien répondu à sa remarque et simplement hoché la tête, l'air pensif et ailleurs. Il n'était pourtant pas impressionable de nature - c'était même plutôt le contraire ; et il était le premier à critiquer la crédulité de certains face à quelques phénomènes un tant soit peu étranges. C'était à n'y rien comprendre ! De nouveau, Bernard brisa le silence :
- Le gamin m'a aussi transmis le journal de cet homme. Il aurait demandé à ce qu'on me le remette personnellement... avant de sauter par la fenêtre.
Il marqua une pause. Il s'était penché en avant, le menton dans les mains, sourcils froncés et visiblement plongé dans ses pensées.
- Je vais le lire, annonça-t-il abruptement. ... Pour voir si je trouve quelque chose. Enfin, n'importe quoi qui puisse étayer mon article, sait-on jamais.
- Au moins, ça t'occupera pendant le trajet..., répondit Georges d'un ton monocorde.
*
Quelques jours plus tard - de retour à Paris-, alors qu'il lisait en toute tranquillité le journal du matin, l'esprit à des milles des frayeurs qu'il avait eues, il entendit sa sonnette qu'on tirait furieusement. Son valet courut ouvrir la porte en catastrophe et revint précipitamment dans le salon.
- M. Bernard L***** demande à vous voir, Monsieur.
- Qu'est-ce que tu racontes ? avait retorqué son maître interloqué. Bernard me prévient toujours avant de venir ici. Si je ne te connaissais pas depuis si longtemps, je croirais à une farce de ta part Paul, jugea Georges en fronçant les sourcils.
- C'est pourtant vrai, Monsieur. Il dit que c'est très important, intervint Paul manifestement désireux que son maître le croît.
- ... Très bien. Fais le entrer, décida Georges après une seconde d'hésitation.
Son valet sortit l'air soulagé et ramena promptement Bernard avec lui. Celui-ci ne semblait pas au mieux de sa forme et aussi très agité. Il portait des vêtements salis et froissés ; sa barbe était hirsute, loin d'être aussi soignée qu'à l'accoutumée. Il jetait de nombreux regards alentour comme s'il redoutait quelque chose.
- Il fallait absolument que je te parle, annonça-t-il sans préambule.
- Moi aussi je suis très heureux de te revoir mon bon ami, lança Georges d'un ton mordant. Tu peux sortir Paul. Je te rappellerai peut-être pour nous amener un café.
- Bien, Monsieur.
Le domestique s'inclina et sortit aussitôt, fermant soigneusement la porte derrière lui. Georges désigna du menton un fauteuil à son camarade dans lequel celui-ci s'effondra, apparemment épuisé. Il ôta finalement son chapeau et commença à le triturer nerveusement sans avoir l'air de s'en rendre compte.
- Alors ? Que me vaut l'honneur de ta visite ? demanda Georges d'un air faussement enjoué.
- Je suis vraiment désolé de ne pas t'avoir prévenu, crois-moi. Je n'ai pas non plus beaucoup de temps devant moi. Je suis sûr qu'il va bientôt me retrouver et me reprendre.
- Mais, enfin... De quoi parles-tu ? le coupa son ami légèrement agaçé à présent.
Bernard farfouilla dans sa veste et en sortit le journal que lui avait remis l'enfant il y avait quelques jours de cela. Il le tendit aussitôt à Georges qui semblait maintenant passablement surpris et resta interdit quelque secondes avant de s'en saisir.
- Commence à le lire dès que possible, ordonna le journaliste.
Sur ce, il se leva et commença à faire les cent pas entre le fauteuil et la porte.
- Et est-ce que tu pourrais au moins m'indiquer pourquoi, par hasard ? questionna Georges, quelque peu excédé par son attitude.
Le journaliste s'arrêta brusquement et se retourna d'un bloc, prenant son air des mauvais jours, celui qu'il prenait à chaque fois qu'il cherchait ses mots pour bien faire comprendre son point de vue à n'importe quel imbécile. Sa carrure immense et son ton froid étaient loin de rassurer.
- Parce que tu comprendras quel sort attend l'humanité. Parce que comme ça tu pourras peut-être m'aider à me débarrasser de ce "Horla" qui me possède maintenant. Voilà pourquoi ! A mon avis, le propriétaire n'a pas tout essayé. Je refuse d'avoir à me suicider pour lui échapper ! déclara-t-il avec rage.
- Mais qui te parle de suicide ? Tu perds la tête, mon vieux !
- J'aimerais mieux que ce soit ça...
FIN
Vos impressions ?
Et j'ajoute que je ne souhaite pas être corrigée. Ou alors signalez-moi les fautes par mp ou par un commentaire et je me chargerai de remédier à cela. Merci de votre compréhension.