Je suis seule ; après tout, je l’ai toujours été, mais maintenant cette solitude me terrifie, maintenant que je sais à quoi ressemble l’amour, le vrai, celui que l’on éprouve à deux.
La question que je me suis maintes fois posée me revient : Pourquoi est-ce que l’on s’attache à certaines personnes alors qu’elles nous seront enlevées un jour ?
Je crois que l’on a besoin d’avoir des contacts avec les autres même si cela doit nous faire souffrir, en fait la souffrance fait partie du déroulement d’un amour, c’est une phase que l’on ne peut éviter. La mienne est juste trop importante pour être supportée par un seul être humain.
J’ai cru trouver la réponse à cette question mais elle a disparu. Je savais que si j’avais essayé de le retenir je me serais brûlé les doigts, mais au moins j’aurais eu une cicatrice, une preuve de l’amour que j’aurais voulu retenir. Au lieu de ça je n’ai plus rien, ni cicatrice, ni réponse, je ne suis même plus sûre d’avoir encore une âme.
Et je suis là seule dans cette ruelle mal éclairée, il neige, le sol est recouvert de neige et en dessous il y a une petite couche de glace ; les murs des bâtiments autour de moi sont recouverts de graffitis, la plupart sont des insultes ou des marques de bandes qui désignent ce territoire comme le leur, mais on peut aussi y trouver des déclarations d’amour écrites d’une écriture soignée et sans faute d’orthographe : pour dire son amour il ne faut pas se tromper.
Le sol est trop glissant pour une maladroite comme moi, mais pour une fois je ne suis pas tombée, heureusement je suis si fatiguée que je ne me serais peut-être pas relevée. Je mêle mes larmes à la neige qui tourbillonne autour de moi, je me tiens immobile comme ça depuis presque une heure, mes larmes ne tarissent pas, mon corps est transi de froid mais je ne le sens pas, je ne le sens plus. Je crois que je comprends ce concept selon lequel il faut une douleur pour en chasser une autre, mon cœur brisé me fait tellement mal que je ne sens plus le froid s’insinuant peu à peu dans mon corps.
C’est drôle, petite je rêvais d’une petite maison où il y aurait toujours un accueillant feu de bois dans la cheminée ; devenue adolescente je souhaitais la gloire, le feu des projecteurs et les flashes des appareils photos qui m’aveuglent. Dans chacun de ces rêves on retrouve la même douce chaleur, c’est drôle disais-je, que le seul endroit où je sens que j’ai ma place, l’endroit où je dois être est une rue sous la neige glacée qui me pénètre jusqu’aux os et mes larmes me semblent toutes naturelles face à la douleur qui me déchire le cœur.
Pour savoir ce que je fais ici en cette nuit de janvier, il faut revenir deux jours en arrière…deux jours…déjà, j’ai l’impression que l’époque où j’étais heureuse remonte à plusieurs siècles…
Je ne veux plus comprendre les raisons qui l’ont poussé à partir, mais, malgré moi je sens mes souvenirs ressurgirent du fond de mon cœur.
Moi, heureuse de m’endormir dans ses bras et de me réveiller dans la même position, je ne savais pas qu’il était possible d’aimer autant quelqu’un, plus que sa vie.
Je n’ai jamais éprouvé le moindre besoin d’attachement envers quelqu’un. A l’orphelinat, on s’occupait de moi mais tous les autres enfants partaient très rapidement et je ne voyais aucune utilité à une amitié éphémère.
Lui, il a été la seule personne à qui j’ai ouvert mon cœur, la seule personne que j’ai attendue chaque soir à la même heure et que j’étais heureuse d’accueillir. J’ai été très surprise de le voir rentrer plus tôt que d’habitude, qu’il me dise qu’il voulait me parler au lieu de m’embrasser comme chaque fois, puis…il n’y a plus rien dans ma mémoire, ni moi, ni lui, juste le noir et la douleur.
Il me l’a dit, ce n’est pas de ma faute mais il part, il a trouvé celle avec qui il veut vivre. Je les connais ces mots, il m’avait dit les mêmes, je n’ai même pas eu le temps d’être étonnée, il a pris ses quelques affaires et il est parti. Ce n’est qu’après que j’ai commencé à réagir, « il m’a quittée ! » cette phrase résonnait dans ma tête comme un gong dont les vibrations augmentaient à chaque seconde. Maintenant plus rien ne compte, non rien.
Bizarrement ce n’est pas un feu que je sens en moi me consumant le cœur et l’esprit, c’est la glace, la glace me brûle jusqu’aux tréfonds de moi-même, je sens mes jambes se dérober sous moi, pourquoi ne me portent-t-elles donc plus ? Je vois le sol se rapprocher puis il touche mon visage, il n’est plus si glacé que ça en fait, je sens que je vais rester ici, je n’ai pas vraiment le choix.
Je regarde une dernière fois les étoiles briller de leurs mille feux au-dessus de moi, puis je ferme les yeux, j’écoute les derniers faibles battements de mon cœur brisé. Pourquoi suis-je si triste déjà ? Je ne sais pas, je ne sais plus.