Grosse angoisse de la page blanche en ce moment, sur tous les plans. Je vais donc commencer à poster quelques textes que j'ai sous la main, à commencer par celui-ci. J''ai commencé... puis j'me suis arrêté. De toute façon c'est pas formidable.
La boutique de l'amant triste
Le bleuet
Il se tenait derrière le comptoir, mal à l'aise dans son tablier étriqué. La nouvelle cliente passait de bouquet en bouquet, se penchant sur les fleurs pour en humer le parfum. Le jeune homme, luttant contre la culpabilité, ne pouvait s'empêcher de laisser son regard dériver sur les courbes de ses hanches et de sa poitrine, comme hypnotisé. Sans même y penser, il espérait qu'elle venait pour lui, qu'elle se cambrait pour le séduire. Un rêve qui venait s'imposer à lui chaque fois que la cloche sonnait, lorsqu'une jolie femme passait la porte de sa boutique. Depuis bien longtemps déjà, il ne s'interrogeait plus sur les raisons de ses fantasmes. Il les laissait le gagner, l'obséder, durant les poignées de secondes qui s'écoulaient entre le moment où elles entraient, et celui où elles repartaient avec un bouquet dans la main. Ces événements quotidiens représentaient pour lui des petites touches d'extase silencieuse, des moments d'intimité précieux. Les seuls qu'il pensait pouvoir saisir autrement que lorsque, enfant, il se lovait entre les bras de sa mère . Durant ces quelques instants, pour rien au monde il n'osait ouvrir la bouche pour articuler autre chose que les politesses d'un bon commerçant. Il affichait alors un sourire timide, tentait de ne pas rougir, et en rendant la monnaie, frémissait discrètement au contact de sa main contre les leurs. Puis, lorsqu'enfin la porte se refermait derrière elles, il se retrouvait seul à nouveau, muré dans un silence qui n'avait rien d'autre à exprimer que le regret qu'il avait de ne pas avoir assez de cran pour exprimer son intérêt.
Celle-ci était encore plus magnifique que les autres. C'était ce qu'il se disait à chaque fois. Et comme il s'était déjà surpris à le faire, il associa par instinct une fleur à la jeune femme. Celle-ci avait dénoué son écharpe de son cou et retiré ses gants, dévoilant une peau blanche et laiteuse, dépourvue de la moindre imperfection. De toute part de son charmant bonnet cascadait une longue chevelure sombre qui descendait jusque derrière ses épaules. Son visage faisait tressaillir le petit fleuriste à chaque fois qu'elle se retournait et qu’elle lui faisait face. Un regard de jais, pétillant, empli de joie de vivre et de bonne humeur, un petit nez retroussé qui surmontait une bouche souriante aux lèvres velouteuses... Et lorsque les yeux du timide s'attardaient sur le reste de son corps, il était trop absorbé par l'étude de ses formes fantasmagoriques pour discerner ce qu'elle portait sous son manteau. Peut-être était-ce une petite laine, ou bien un chandail. Peu lui importait en cet instant d'émerveillement.
Edelweiss.
Une goutte de sueur perla bientôt sur la tempe du garçon. Il s'humecta les lèvres, tenta de calmer les tremblements qui secouaient ses jambes, et attendit patiemment que la fleur des neiges choisisse le bouquet qu'elle était venue chercher. Il espérait intimement que sa visite se prolonge encore, et à chaque fois qu'elle semblait s'arrêter sur quelque chose qui l'intéressait, une douleur à l'estomac le faisait se mordre l'intérieur de la bouche. Lorsqu'enfin, elle saisit un petit bouquet de roses blanches et se dirigea vers le comptoir, il ne put se retenir de pousser un petit gémissement. Fort heureusement, il fut le seul à s'en apercevoir.
« Vos fleurs sont toutes magnifiques ! S’exclama-t-elle. J’ai vraiment eu du mal à me décider.
- Vous voulez... les offrir à quelqu’un de spécial ? S'enquit-il d'une voix hésitante. Je vous fais un emballage particulier ?
- Non, ne vous embêtez pas.
- Ce sera vingt-neuf euros, annonça-t-il le regard fuyant. »
Alors qu’elle fouillait à l’intérieur de son sac à main, il entreprit de découper un carré de plastique en tirant sur le rouleau qui se trouvait à proximité. Puis d’une main experte, il enroba le bouquet et noua son œuvre à l’aide d’un ruban noir sur lequel était accroché l’emblème de sa boutique. Il eut terminé avant qu’elle ne lui tende sa carte bleue. Affichant un sourire un peu plus gêné qu’il ne l’était quelques secondes plus tôt, il s’excusa :
« L’appareil est en panne, je suis obligé de vous demander du liquide. »
Compréhensive, l’edelweiss obtempéra et lui donna trois billets de dix. Le petit fleuriste s’en empara, effleurant la main de sa cliente. Il eut alors un léger mouvement de recul qui cette fois ne put échapper à la jeune femme. La sentant, confuse, poser ses yeux sur lui, il pria pour ne pas croiser de nouveau son regard et s’empourpra. Il sentit venir une bouffée de chaleur, la surface de sa peau s’humidifiant sans qu’il puisse faire quoi que ce soit pour y remédier. En sueur, il ouvrit maladroitement sa caisse et sortit la monnaie à rendre en prenant garde à ne plus entrer en contact avec la peau de la fleur des neiges. Cette dernière sembla rester quelques instants embarrassée, mais finit par prendre son bouquet et tourna les talons, lui adressant un poli « aurevoir ».
Lorsqu’elle fut partie, le jeune homme ferma les yeux et serra les poings, se maudissant de ne pas avoir été suffisamment courageux pour ne serait-ce qu’avoir osé la regarder dans les yeux.
Une fois de plus.
L’edelweiss
Elle laissa ses yeux se poser sur les fleurs, esquissa un sourire et traversa la chaussée. Elle avait trouvé triste le comportement du petit fleuriste. C’était visiblement un timide, impressionné par le contact avec sa clientèle. Ça devait être difficile de se lever tous les jours pour réaliser une tâche qui le mettait si mal à l’aise. Elle se doutait de combien le manque de confiance en soi pouvait affecter une personne. Sa propre mère était incapable de sortir de chez elle pour se rendre à la boulangerie du quartier. La phobie sociale, c’était le nom que les psychiatres avaient donné à sa souffrance. Et depuis des années, à cause de cette peur, la fille avait pris la place de la mère, la mère celle de la fille. Une situation dont la jeune femme se serait bien passée, mais qu’elle devait assumer. Etait-ce par amour pour sa génitrice ? Sans doute un peu. Mais surtout, pour elle qui n’aspirait qu’à croquer la vie à pleines dents, ne pas en prendre soin était s’exposer au risque d’être considérée comme une ingrate, et de se voir déconsidérée par les siens.
« Ho, fais attention. »
Une main se posa sur son épaule, et elle releva la tête. Un grand homme en costume, qui arborait un sourire de star de cinéma, se tenait là, entre elle et une bouche d’égouts béante. Elle n’eut pas le temps de se rendre compte de la situation ni de le remercier qu’il reprenait déjà la parole.
« Tu dois être préoccupée par quelque chose d’énorme si tu ne l’avais pas remarquée, fit-il d’une voix profonde.
- Je... Commença-t-elle, déstabilisée par le tutoiement précoce. Merci. On s’est déjà rencontrés ?
- Pas du tout, mais si je puis me permettre, c’est un peu dépassé comme technique de drague. »
Elle ne put réprimer un rire. Ce faisant, elle étudia plus en détail son interlocuteur, qui avait l’air charmant. Ce n’était certes pas un idéal de beauté, mais il dégageait quelque chose d’étrangement attractif. Son regard, noir et perçant, était sans doute le plus troublant. Déroutée, elle ne savait pas réellement comment lui répondre, aussi fut-elle soulagée lorsqu’il continua la conversation de lui-même.
« Je m’appelle Simon, enchanté, fit-il en retirant sa main de son épaule pour la lui tendre.
- Adèle, répondit-elle en la lui serrant délicatement.
- Alors Adèle, pour qui sont ces fleurs ?
- Pour ma mère. Je sais, c’est... étrange. Aujourd’hui, ça fait trois ans que mon père est décédé, je tiens à lui faire savoir qu’elle n’est pas seule à y penser.
- Navré. Ce n’est pas un jour facile, alors. J’ai un peu de temps libre avant de retrouver un ami, on peut prendre un café pour te changer les idées, si tu veux. »
La jeune femme ne répondit pas immédiatement, laissant ses yeux glisser de part et d’autre de cet homme vraisemblablement très à l’aise, au physique athlétique et bien portant. Elle se savait jolie, ou du moins était-il suffisamment lucide pour se rendre compte du nombre d’hommes qui l’avaient déjà invitée à boire un verre ou qui lui avaient demandé son numéro. Elle acceptait rarement à moins que le garçon ne se démarque des autres. Celui-ci était différent, elle sentait que si elle refusait, elle risquait de passer à côté de quelqu’un de neuf et de rafraîchissant. Et puis un café n’engageait à rien. Elle hésita quelques instants avant d’afficher un joli sourire et de répondre.
« Pourquoi pas.
- Bien, il y a un coin sympa au bout de la rue. »
Le narcisse
Il était au mieux de sa forme. Trois numéros récupérés en autant de quarts d’heure, ainsi qu’un rendez-vous improvisé avec une magnifique brune. Et avec un peu de chance, il pourrait emmener celle-ci dans son lit le soir même. Simon passait une semaine parfaite.