Dans l'océan laiteux nagent les familles
Fuyant quelque barbarie insensée lancée
Hommes femmes enfants en brasse arrivent
Au nouveau port signé de la liberté
16h32 dans la gare, salle des pas perdus,
Le petit garçon se demande comment,
Bon dieu ! comment fait-on pour perdre son pas
Et pourquoi personne ne les recherche ?
Au milieu de la chaussée l'onironef apparaît
Grand triporteur bardé de ferrailles et bagages
Un barbu pédale fier et grand comme un messie
Sa voile tatouée POÉSIE flotte en pleine gloire
Les navires sont de nos meilleurs poèmes
Chantait le poète pirate au bord des criées
A gréements de boissons, aux filles des quais
Jusqu'au tropique où sa voix s'échoua
Elle lisait toujours en commençant par la fin
Disant qu'il y avait plus de suspens
Au début, quand les fondements dévoilent
L'intrigue au complet les raisons l'origine
Petits enfants, mousses dans les huniers
Ramassent leur frayeur face à la houle
Ils maudissent le père ensemble et les gabiers
Interpellent les mères dans le fracas du sel
Depuis la fenêtre du train qui passe
Se livrent bidonvilles sur bidonvilles
Et Paris, taudis sur pilotis, rougit et crie :
"L'ouvrage de l'homme moderne devant tes yeux !"
On les ramasse sur les trottoirs, déserts,
Mers oubliées, plaines fauchées, banquise
On les amasse, pierres exquises au toucher
Qui s'entrechoquent en chantant leur nom - rêve.
Les nuages se tiennent en assemblée sérieuse
Pour décider si oui ou non il y aura tempête
- Pas cette année, il faut lutter, et nos familles ?
Puis ils passent en grondant à la grève générale
Le moissonneur fauche à la lueur claire
D'une lune d'été les étoiles mûries
Il moissonne pour les fous, pour la misère
Pour les chiens, les ignares - à l'humanité meurtrie
J'ai croisé, sur un quai, des hérons hagards
Perdus sur le marais des rails d'une gare
Longues-pattes, ils toisaient les toitures
Et une jeune fille avide de romans naïfs
"Le temps est une île où l'on se perd ;
Dans les jours répétés et les nuits d'insomnie
L'attente en barres sur un caillou quelconque
Concurrence la barbe qui pousse en jalons"
Grand soir de bal aux masques doubles
Sur une avenue normale, journée banale
Les passants frivoles marchaient à dieu
Un janus douteux au cou redoutable !
On ouvre l'oeil, et l'autre suit l'autre
La vie déborde de leurs quatre coins
On a effacé les anciennes traces - recommencement
Je suis bien dans ce corps chaud, bon vivant
Terminus sur la place blanche sous la lampe
Témoignage, héritage, sérénité ou nostalgie
Assaille le vieil homme d'écriture & d'histoires
Prêt, sourire paré, au plus rapide des trajets
Paysage de nuit fuit à la fenêtre
Lumières blanches et rouges des routes
Reflets des salons silencieux, lumineux
Légions de lampadaires zonards & solitaires
La volupté s'échappe entre ses cils
Comme un enfant sauvage au jardin
Quand ils s'entrouvrent elle vacille
Du fond de l'iris au fond du bassin
En amis, nous marchons vers l'indigo lointain
Parmi les sonorités s'évanouissant
Les bruissements des feuilles répandent des chagrins
de villes, filles, pays laissés là, sur le chemin blanc
etc.