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 - Aludra -

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Liam Daläa
Chef Administrateur
Chef Administrateur
Liam Daläa



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MessageSujet: - Aludra -   - Aludra - I_icon_minitimeLun 31 Aoû - 21:14

Je viens d'achever ma première version complète d'une nouvelle de science fiction philosophico-absurde d'une quinzaine de pages sur le thème de la religion. Si vous avez le temps de lire et de corriger d'éventuelle lourdeurs, fautes d'orthographe ou de concordance des temps, et si vous avez des suggestions, je suis preneur.







ALUDRA





– Base de lancement de Kourou (CSG)
– Guyane
– République française



...Il semble que nous plongeons vers l'étoile. Adieu. »

Accroché au mur, un calendrier de papier indiquait le 27 avril 2521. Il était apparemment à jour. Un peu au dessus de la date écrite en caractères d'imprimerie, la bande de colle qui avait maintenu la feuille précédente, et donc toute celles d'avant, luisait légèrement. Elle ne s'était pas encore ternie au contact de l'air ambiant et reflétait ainsi, vaguement, les pauvres lumières de la pièce. A ce seul détail, on voyait bien que le vingt-sixième jour d'avril venait à peine d'avoir été arraché.

« - Ici, William Bayle, médecin, biologiste, minéralogiste, chimiste, physicien et astrophysi... bref, à bord du Santa-María qui était, jusqu'il y a peu de temps, en orbite autour d'Aludra. Je suis en compagnie du Capitaine Morgam-Cei, et du... et du théologien Kaeso Tsiolkovski, ils sont encore conscients mais hors de portés du micro, c'est pourquoi je parle en leur nom...

L'immense horloge numérique située au dessus du tableau de communication jetait autour d'elle une pâle lueur rouge, on pouvait lire qu'il était précisément 3 heure 57 du matin. D'un côté, le chiffre trois semblait tourner le dos au chiffre cinq, de l'autre, le sept semblait observer ce conflit avec incompréhension. Mais rien à faire, la nuit serait encore bien longue et les nuances les plus précoces et audacieuses de l'orbe du Soleil n'avaient pas encore commencé à nimber la moindre strate d’horizon.

...avec ce message vous recevrez le compte rendu complet de nos dernières découvertes, ce sera à votre tour de les interpréter du mieux que vous pouvez...

Tandis que sur le visage des personnes écoutant le message se répercuter en boucle, encore et encore, dans les bureaux du centre spatial guyanais, on ne pouvait lire qu'une seule et unique chose. Une chose indescriptible. Comme une expression figée, comme un mélange de terreur ou une infinie et indéfinie tristesse.

...pour une raison inconnue nous perdons le contrôle du vaisseau. Ce message a pour seule finalité de saluer nos familles, nos amis... et la Terre... une dernière fois. Il semble que nous plongeons vers l'étoile. Adieu. »


Un bout de silence, quelques crépitements, et ça recommençait.

«- Ici, William Bayle, médecin, biologiste, minéralogiste...










– A bord du Santa-María
– En direction d'Aludra
– Constellation du Grand Chien




Si le degré de scepticisme varie selon les individus, les agnostiques s'accordent pour dire qu'il n'existe pas de preuve définitive en faveur de l'existence ou de l'inexistence du divin, et affirment l'impossibilité de se prononcer.


Un jour, William Bayle avait lu cette phrase sur une holopage du Wi Ped Definition, ce devait être vers la fin des années 2490. Aujourd'hui, plus de vingt ans plus tard, elle était encore fausse pour lui. Et aujourd'hui encore, il la connaissait par cœur. Il se la remémorait souvent dans son for intérieur, comme pour en ressentir toute l'absurdité ou comme pour faire rejaillir en lui la singularité de sa propre façon de penser : Il était agnostique mais il niait cette définition de l’agnosticisme. Certes, il affirmait depuis toujours une véritable impossibilité de se prononcer sur l'existence ou l'inexistence d'un quelconque dieu. Certes, il n'avait encore rien vu de ses yeux lui permettant d'affirmer ou de balayer sans crainte l'hypothèse d'une existence divine. Mais, en aucun cas, il ne se sentait capable d'affirmer : « qu'il n'existe pas de preuve définitive en faveur de l'existence ou de l'inexistence du divin. »

Pour lui, trop se complaisaient dans cette affirmation trop facile : « on ne sait pas, et on ne saura sans doute jamais ! » Avant de déterminer qu'une preuve n'existait pas, il était peut-être temps de commencer à en chercher une. Et il s'agissait aussi de le faire autre part que dans notre confortable berceau d'ignorance que représentait la Terre. En effet, au fond, elle n'était rien, comparée à l'Univers. Et on ignorait encore aujourd'hui tant choses sur les horizons infinis qui nous entouraient. On n'en avait pas parcouru ne serait-ce qu'un centième de dix-milliardième. Il nous restait encore à avoir le courage de nous donner les moyens de quitter notre planète natale, qui avait beau être accueillante et caressée par les plus doux rayons du Soleil, mais ne valait pas la froideur, le vertige, la déchirure des voyages spatiaux d'où naissaient, l'expérience, la sagesse, la connaissance de soi et du reste de la réalité. Comment pouvions-nous affirmer sans peur qu'il n'existait nulle part quelque-chose qui puisse trancher ces questions fondamentales qu'on pourrait formuler par : Comment tout a commencé ? ou Pourquoi sommes-nous là ? Les hommes avaient toujours été comparables à des amnésiques jetés sur un rocher se demandant avec peur, avec amour, avec joie, avec philosophie et avec colère parfois : Mais putain de bordel de bordel de putain de putain de merde, qu'est-ce qui a bien pu se passer pour qu'on en arrive là ?!

On pouvait reconnaître une chose, Dieu s'était plutôt fait discret au cours de ces derniers millénaires. Peut-être alors n'était-il rien d'autre qu'un titanesque rêve s'étendant sur les civilisations sans jamais vouloir s'éteindre, ou bien peut-être jouait-il à une immense partie de cache-cache avec le fruit de sa création. Quoiqu'il en soit, lui, William Bayle, scientifique aux connaissances étendues et multiples, avide de compréhension, il ne pouvait pas en rester là, il ne pouvait pas abandonner la partie avant même qu'elle ne se commence. C'était dans cet esprit qu'il avait accepté d'entreprendre la mission la plus prétentieuse de l'humanité. Son profond agnosticisme, son orgueil, sa jeunesse et sa soif de savoir l'avaient poussé à embarquer, il y a maintenant 21 ans, sur le Santa-María, un vaisseau équipé d'un véritable arsenal scientifique construit et lancé vers l’inconnu dans un but ultime : trouver quelque-part dans l'univers une preuve scientifique de l'existence de Dieu.



- Type Spectral ?
- B5 IA.
- Magnitude apparente depuis notre situation ?
- 4,56
- Magnitude absolue ?
- 7,51

William et le capitaine Morgam-Cei étaient en train de vérifier les caractéristiques d'une étoile observée depuis bien longtemps mais de trop loin et qu'ils rêvaient d'explorer pour la première fois. Le capitaine posait les questions, William énonçait les données d'observation, tandis que Tsiolkovski, lui, se contentait, rêveur, de regarder par le hublot. Si William avait été un observateur extérieur à la scène, il aurait trouvé que ce tableau à trois personnages avait quelque-chose d'assez proche d'une pièce d'Eugène Ionesco ou de Jacques Rebotier, pourtant, c'est une ambiance quasi solennelle qui planait autour du tableau de bord et William s’efforçait de répondre le plus efficacement possible aux vérifications du vieux pilote.

- Déclinaison ?
- 29° 18′ 11″
- Ascension droite ?
- 07h 24m 11,1s
- Indice J-R et J-H ?
- Encore inconnus.
- Indice B-V ? Indice R-I ?
- 0,08 - 0,06

Le capitaine referma son intelbook holographique d'un geste de la main et il regarda ses deux co-spationautes avec un air satisfait.
- Toute les vérifications sont faites, il n'y a aucun doute à avoir là-dessus ; nous avons bel et bien à faire à l'étoile Eta Canis Majoris.
Ça faisaient longtemps qu'ils attendaient ce moment. Le russe voulu rajouter son grain de connaissance :
- On l'appelle aussi Aludra. Ce qui veut dire « La Vierge » en arabe littéraire. Il me tarde de savoir ce qu'elle nous réserve.
Le capitaine jeta un rapide coup d’œil au tableau de commande et émit des estimations qui surprenaient toujours par leur exactitude :
- Aujourd'hui, c'est seulement 287 801 000 kilomètres qui nous séparent d'elle, c'est à dire environ la distance que la lumière parcours en seize minutes dans le vide. En mettant tous nos moteurs à réaction photonucléaire en marche, nous y serons demain matin, vers huit heure et demi.

Le Santa-María était un vaisseau utilisant des technologies de pointe nées dans la deuxième moitié du vingt-cinquième siècle. La narobotique d'adaptation lui permettait de reprogrammer à volonté son fonctionnement de navigation et de modifier sa propre architecture afin de faire face à divers environnements atmosphériques et spatiaux. Ce système était rendu possible par la communication permanente entre les mécanismes de l'exosquelette protecteur et le circuit central en graphène qui abritait une toute nouvelle forme d'intelligence artificielle. Il s'agissait, en quelque sorte, d'un ordinateur positronique qui enregistrait et traitait toutes les informations parvenant des différents capteurs situés à l'avant du vaisseau. Cet ordinateur central prenait en compte tous les changements qui survenaient lors du voyage dans l'espace et donnait l'ordre de changer telles ou telles caractéristiques de protection ou de propulsion. Ses moteurs étaient capables de briser plusieurs milliers de fois par seconde les photons captés dans la lumière des étoiles. L'énergie ainsi donc obtenue était considérable. Elle permettait, non seulement d'alimenter tous les instruments scientifiques inimaginables qu'ils avaient embarqués ou construits en cours de route, mais aussi, une fois canalisée dans les réacteurs, de parcourir des distances jusque-là encore inégalées. Et ce, à une vitesse défiant l'entendement humain. C'est comme si le Santa-María traversait, intercalé entre le mur du son et l'infranchissable vitesse de la lumière, le mur de l’incompréhension.

Dans ce vaisseau où ne pouvaient vivre que trois personnes pendant trente ans, ils avaient laissés tout espoir de revoir la Terre. Encore, parfois, en regardant par le hublot dans la direction soupçonnée de leur planète, lorsque William s'apercevait qu'elle n'était plus perceptible à l’œil nu et que même le Soleil ne ressemblait plus qu'à une étoile parmi tant d'autres, il était pris d'un horrible vertige. Une nappe de fraîcheur douloureuse venait se poser sur lui comme un linceul ou une toile qui le paralysait. Puis, peu à peu elle traversait sa peau, contournait lentement ses muscles, et venait distordre et nouer froidement l’intérieur même de sa moelle osseuse. Alors la douleur se cristallisait, elle devenait matière, comme des milliers de diamants indélogeables au creux de chaque articulation, comme des aiguilles venues en constellation de souffrance rappeler à l'homme toute sa vanité, toute sa faiblesse et toute sa fragilité devant les forces déployées d'un incommensurable univers qui ne cesse de croître.

William en avait parlé à Kaeso Tsiolkovski. (le russe, qui n'était pas russe, mais que William et le capitaine et appréciaient appeler ainsi, ou parfois « Tsiolkoff ») Mais lui, ces distances qu'on ne pouvait s'approprier, ça le faisait rire. Au fond, il n'avait peur de rien, car toujours, où qu'il soit, il se sentait près de Dieu. Et s'il était là au milieux de nulle part, dans cet impitoyable vaisseau, c'était pour prouver l’existence de ce dieu qui ne l'avait encore jamais abandonné. D'ailleurs, ils avaient beaucoup parlé ensemble. D'avantage qu'avec le capitaine qui était plus réservé. Kaeso lui avait dit qu'en remontant loin dans l'arbre généalogique de son père, on pouvait dénicher quelques probables origines polonaises, mais que sa famille vivait au Vatican depuis de nombreuses générations. Son père restaurait les fresques de la chapelle Sixtine quand il avait rencontré sa mère, une traductrice passionnée d'histoire qui faisaient visiter régulièrement les lieux touristiques du Vatican aux voyageurs. Tout deux de fervents catholiques, ils s'étaient mariés jeunes, et il était né, in vitro, peu de temps après leur mariage. Très vite plongé par l'intermédiaire de sa mère dans l'univers des mots, Tsiolkovski avait vécu une enfance paisible. Ce fut le cas, jusqu'à ce que son père mourut écrasé par le poids d'un échafaudage qui avait cédé sous l'effet de l'usure, Kaeso avait 14 ans. Combien de fois son père avait-il averti que ces derniers devenait instables et dangereux ?! Mais les fresques de Michel-Ange intéressaient moins les gens que la recherche spatiale, et le budget de leur restauration ne cessait d'être réduit ; le matériel était poussé à bout avant d'être renouvelé. Si son père était mort en réalisant son rêve, c'est à dire redonner l'éclat de la jeunesse à des peintures datant de presque mille ans, pour Kaeso, sa mort avait été l'effondrement de tout. Sa mère tomba dans une dépression telle que même les plus grands antidépresseurs ne purent la sauver, et lui, il se plongea dans l'étude des langues anciennes. Elle étaient si complexes qu'il pouvait s'y perdre des nuits entières à essayer d'en comprendre la substance, la beauté et la complexité. Du fait qu'il était né au Vatican, le latin, au même titre que l'italien, était sa langue natale. Il était prédestiné à étudier les langues oubliées. Après tout, son prénom Kaeso faisait parti des dix-huit prénoms fréquemment portés dans la Rome Impériale. Ayant pris la précaution de perfectionner sa maîtrise du latin, il s’attela au grec ancien, il montra ainsi un véritable don pour les langues et, non content de maîtriser déjà celles qui étaient à l'origine de la plupart des civilisations européennes, il mit un point d'honneur à apprendre l’hébreu. Puis, son acharnement ajouté à son talent et à l’efficacité des nouvelles méthodes pédagogiques de l’apprentissage des langues, il manipula bientôt le sanskrit et l'Indo-européen classique (dans sa reconstitution comparative et intégrale de 2067). Pour parachever ses connaissances, il avait appris l'arabe littéraire, le français et l'anglais. Pourtant, ce qui impressionnait le plus William, c'est de savoir que Kaeso avait appris la plupart de ces langues en dehors de l'école et qu' il avait réussi tout aussi brillamment ses études de théologie, au point d'être rapidement reconnu dans ce domaine. Probablement que ses connaissances en langue n'y était pas pour rien d'ailleurs. En effet, Tsiolkovski devait être l'homme le plus qualifié au monde pour comprendre les textes religieux dans leurs formes les plus anciennes et les moins interprétées. Il avait même été capable de repérer des erreurs de traduction qui n'avaient pas été découvertes durant les siècles précédents. Alors, c'était naturellement vers lui que s'était dirigé le Vatican lorsqu'il avait fallut choisir un théologien qui soit assez vif pour passer un entraînement et un apprentissage accéléré afin d'être capable parcourir l'univers. Sa mère venait de mourir, il était seul, plus rien ne le retenait sur Terre, il avait besoin de « prendre l'air », surmontant sans difficulté la peur de s'éloigner du monde qui l'avait porté depuis sa naissance, il avait dit oui.


Pendant que William remuait ses souvenirs, il vérifiait aussi l'environnement électromagnétique dans lequel évoluerait le vaisseau à proximité d'Aludra. Son regard fut attiré par une indication de l'ordinateur : Pas de communication directe possible.

- Capitaine ?
Le capitaine leva les yeux au ciel, se rendit vite compte que dans l'espace il n'y avait pas de ciel, et répondit d'un ton faussement exaspéré :
- Qu'est-ce qu'il y a William ?
- Je suis désolé mais ça m'amuse tellement de t'appeler capitaine, je ne peux pas m’empêcher de le faire !
- Ma démission n'aura vraiment servi à rien...
- Elle nous aura pas mal fait rire quand même ! le taquina William, sous le regard tout aussi rieur de Tsiokovski.
- Tu voulais me dire quoi ?
- Quelque-chose d'important en fait. Là où nous projetons de nous mettre en orbite, la communication radio avec la Terre sera impossible. C'est une chose très rare. Mais c'est probablement à cause de l'étoile qui est sur le point de devenir une véritable supernova. La seule façon de parler à la Terre ce sera d'éjecter une capsule d'alerte.
- Dans ce cas, nous n'aurons qu'à les prévenir par un échange radio demain matin avant d'arriver dans la zone de non-communication pour les prévenir que pendant 4 jours minimum on ne pourra pas les contacter. Et si nous décidons de rester plus longtemps, c'est qu'on aura enfin découvert quelque-chose d’intéressant et on leur fera un rapport, en les informant du prolongement de notre exploration. Tant pis, ça nous fera perdre notre seule capsule d'alerte mais au bout de vingt-et-un ans, il faut bien qu'elle serve.
- Bien mon capitaine !


Le Capitaine Morgam-Cei était quelqu'un d'assez mystérieux. Il parlait peu de lui. Les seules choses que William et Kaeso savaient c'était qu'il était l'un des spationautes les plus expérimentés de l'agence spatiale européenne. Ils avaient appris aussi, assez rapidement, quoique de façon surprenante, qu'il était profondément anarchiste et que s'il avait accepté cette mission c'était dans le but de prouver, non pas l'existence, mais l'inexistence de Dieu. Il pensait que l'Homme, en traversant l'univers, finirait par rencontrer d'autres formes de vie, ou des explications plus claires et plus complètes sur le nombre des coïncidences qui s'étaient réunies permettant que la vie naisse sur Terre. Il comptait sur cette expédition et les découvertes qui en découleraient pour que l'athéisme finisse par conquérir l'esprit de tous les esprits. Les religions n'étaient pour lui qu'un tissu d'ignorance que seul la raison pourrait défaire. Or, la raison, à son sens, ne pouvait se trouver que dans la science et dans l'exploration. L'athéisme donnait un sens à ce qu'il voulait être, un homme n'ayant ni dieu ni maître. Il avait fait semblant d'accepter le grade de capitaine et attendu que le vaisseau se soit extrait de l’atmosphère terrestre pour annoncer solennellement qu'il démissionnait, qu'il était anarchiste et qu'il refusait d'être lui-même un chef. Il avait assuré à ses deux coéquipiers que cela ne poserait pas de problème, que cela ne changeait rien à ses compétences de pilote et qu'il répondrait toujours présent lorsqu'il faudrait donner son avis ou prendre des décisions. Par contre, bien qu'il demanderait parfois des services et émettrait souvent des conseils, ils n'auraient pas d'ordre à recevoir de lui. William et Tsiolkovski avaient pris avec bonne humeur sa décision qui était, somme toute, assez symbolique. En effet, ils n'avaient, ni l'un, ni l'autre, assez de connaissances en navigation spatiale pour s'aventurer à ne pas écouter les conseils de celui que, de toute façon, ils s'amuseraient par la suite à appeler, toujours avec un zèle taquin, « le capitaine ».  Celui-ci avait fini par comprendre qu'il était parfois plus facile de se faire obéir que de réussir à ne pas l'être. Par ailleurs, c'était, en vertu de ses principes, quelqu'un de très bienveillant et de très sympathique, mais aussi quelqu'un de très introverti. Pour finir, William n'avait pu noter qu'une chose encore sur lui, une particularité de son visage, c'était qu'il avait des yeux tels qu'il était impossible de déterminer s'ils étaient bridés ou non. William lui avait fait remarqué ce détail un jour, au cours de l'expédition, alors sa courte barbe s'était fendue en un large sourire. Il avait d'abord rit, puis il lui avait expliqué que son père était d'origine flamande et que sa mère était chinoise. William s'était contenté de cette simple explication. Mais ce soir, s'il n'était pas possible de déterminer la forme des yeux du capitaine, cela n'avait aucun rapport avec le syncrétisme de ses origines. Mais c'était parce qu'ils étaient plissés par la concentration. Il consultait à son tour les nouveaux paramètres magnétiques auxquels le vaisseau allait devoir se confronter. C'était la première fois que la communication serait entièrement coupée en 21 ans d'exploration.


- Tsiolkoff   ?
- Oui   ?
- Tu ne dis plus rien, tu as l'air crevé, tu ferais mieux d'aller dormir, non ? Demain on inaugure une étoile ! Ça vaut pour toi aussi William, je pense.
- Oh, si je ne dis rien, répondit Tsiolkovski, c'est parce que je n'ai rien à dire de constructif, mais tu as raison, je vais aller me coucher.
Le théologien, décrocha enfin son regard du hublot, donna l'impression de rassembler ses dernières réflexions philosophiques dans un coin de sa tête, et il disparu dans le dortoir.
- Et toi, tu comptes piloter toute la nuit ? demanda William au capitaine.
- Piloter, c'est un bien grand mot depuis que tout est automatisé... Je programme juste les moteurs pour qu'ils ralentissent un peu avant de rentrer dans la zone où nous nous mettrons en orbite afin qu'on ait le temps de communiquer avec le centre spatial, puis je vais me coucher... d'ailleurs je ne sais pas pourquoi on utilise encore cette expression, vu que nos lits sont verticaux.
- Très bien, mon capitaine ! Bonne nuit alors !
- Bonne nuit. Repose toi bien.
William s’endormit assez vite cette nuit, il n'entendit pas le Capitaine aller se coucher dix minutes plus tard.


- Pomme de Terre ou pomme de Lune ?



William n'en croyait pas ses yeux, ni ses oreilles. Il était dans la cours d'un château en ruine, assis sur le rebord d'un vieux puits, tout ce décor lui était familier. Mais pas cette jeune fille. Pas ces blonds yeux bleus ni ces cheveux d'or vif dans lesquels on voyait l'océan. La fillette reposa sa question.
- Pomme de Terre ou pomme de Lune ?
- Qui es-tu ? Comment tu t'appelles ?
- Deïwo. Je m’appelle Deïwo, mais peu importe.
- Comment ça peu importe ?
- Pomme de Terre ou pomme de Lune ?
- D'où viens-tu ? Que fais-tu là ?
- Je suis venu là pour te poser une question et toi pour y répondre.

Il y eu un silence, et elle recommença.
- Pomme de Terre ou pomme de Lune ?
- Mais qu'est-ce ça veut dire ?
- Il faut choisir.
- Comment veux-tu que je choisisse ? Ce que tu dis n'a aucun sens !

La petite fille alors se métamorphosa, ses yeux s'étaient en quelques mots ou en quelques secondes remplis entièrement de larmes. Elle répéta sa litanie lentement, découpant chaque syllabe   :
- Pom-me de Terre ou pom-me de Lune ?
William, troublé, balbutia :
- Je ne sais pas, je n'en sais rien.
Ses yeux coulaient comme un reflet de soleil sur les vagues de ses deux joues, William eu tout juste le temps de l'entendre dire   :
- Tu ne me laisse pas le choix.
Puis la jeune fille le poussa violemment dans le puits. Dans sa chute, surpris, il voulu crier mais sa voix se bloqua dans sa gorge. Il tomba, il tomba. Et en écho dans son crâne, la voix de la jeune fille se répercutait de plus en plus fort.

- Pomme de Terre ou pomme de Lune ?

William se réveilla à ce moment, le cœur battant, essoufflé. Il était six heure dix-sept du matin. Il chuchota doucement, comme pour s'approprier cette ultime question   :
- Pomme de Terre ou pomme de Lune ?
On aurait dit le début d'une comptine pour enfant, pourtant, il n'avait jamais autant redouté une phrase. D'ailleurs, il ne se souvenait pas d'avoir vécu un cauchemar à la fois aussi terrifiant et à la fois aussi enfantin. Ce château, ce puits, il avait tellement eu l'impression de les connaître dans son rêve et pourtant, au réveil, il se rendait compte qu'il n'avait jamais visité un tel endroit, ou alors peut-être au cours d'un songe oublié. En tout cas, il semblait que ce rêve avait remué quelque-chose de profond qu'il n'arrivait pas à déterminer. C'était comme si quelque-chose d'important venait de changer en lui. Apparemment, le capitaine était déjà levé, il devait probablement contrôler le ralentissement des moteurs ou préparer la communication avec le centre spatial de Kourou. William ne tarda pas à le rejoindre.


- Ici le capitaine Morgam-Cei, à bord du Santa-María, vaisseau immatriculé : 1221-35-14. Modèle 45. Coordonnées : 19-1-1315 / 19-1-205. En direction d'Eta Canis Majoris, autrement appelée Aludra. Kourou, vous me recevez ?

Tsiolkovski s'était réveillé, il avait quitté le dortoir pour assister comme à son habitude et presque religieusement à ce moment particulier. A vrai dire, William aimait aussi entendre une voix venir de temps en temps de la Terre. En un instant, c'était comme si les distances s'évaporaient, comme s'il pouvait retourner à l’intérieur de son appartement. Il revoyait par la fenêtre les lumières du matin éclairer les briques de sa ville rouge. La petite boulangerie de son quartier avec le pain au maïs. Le restaurant indien. Et les deux coiffeuses à quelques pas de chez lui, Quintessence, oui, voilà, Quintessence, il se rappelait même de ce qu'il y avait écrit sur l'insigne du salon de coiffure...
Un souffle parcouru de crépitements ne tarda pas à se faire entendre. Une voix claire et féminine répondit :
- Ici, Flore Pluvinage, du Centre Spatial Guyanais de Kourou, nous vous recevons cinq sur cinq.
- Bonjour Flore, pas d'incident notable au cours des deux derniers jours, l'équipe est en bonne santé.
- Parfait. Ici aussi tout va bien ; j'ai même vu un tapir et une famille de salamandres traverser tranquillement la plate-forme de lancement ce matin. Le CSG est devenu une véritable réserve naturelle ! Mais... je m'égare... Vos projets se précisent ?
- Comme annoncé lors de la dernière communication, nous allons mettre le vaisseau en orbite autour d'Aludra. Par contre, nos instruments de mesure nous indiquent que lorsque nous le ferons la communication sera coupée avec la Terre. Vous confirmez cette information ?
- Hum... On ne peut rien vous confirmer. Nous en savons vraiment très peu encore sur cette étoile. Mais c'est un scénario parfaitement possible, en effet. Gardez à l'esprit que vos instruments ont peu de chance de se tromper. Vous y resterez combien de temps ?
- Quatre jours, pour pouvoir l'explorer complètement. Mais peut-être plus, si nous découvrons quelque-chose particulier qui nécessite une étude approfondie. Dans ce cas nous vous enverrons notre capsule d'alerte pour vous tenir au courant.
- Entendu. L'imprimante 3D de l'atelier-laboratoire automatisé vous permettra de la remplacer par une autre. Mais ça prendra pas moins soixante-douze heures. Ces petits dispositifs de haute précision sont assez complexe à construire à bord d'un vaisseau aussi ancien que le votre. Le Santa-María  a été imaginé il y a déjà 25 ans... En fait, pour beaucoup de raisons, à son bord, on peut dire que vous avez presque un quart de siècle de retard sur le reste de l’humanité ! Donc, dès que vous aurez lancé la capsule d'alerte, ou décidé de le faire, il vous faudra lancer la fabrication de l'autre. C'est le protocole. Compris ?
- Compris.
- Qu'est-ce qu'il en sera de la déformation spatio-temporelle dû à la masse importante de l'étoile au niveau de l’ellipse orbitale que vous avez choisi ?
- Négligeable, à peu près une demi seconde de décalage par journée passée en orbite.
- Entendu.
- Très bien. Rien d'autre à déclarer. Nous allons devoir mettre fin à la conversation, le vaisseau devrait entrer dans la zone de non-communication dans moins de dix minutes. Au revoir Flore, c'est toujours un plaisir de vous parler et de vous entendre.
- Au revoir monsieur le capitaine ! Et bonne chance  !

Le pilote interrompit la communication et se tourna vers William et Kaeso avec un grand sourire. Ses yeux brillaient comme un enfant.
- Je vous dis, cette fois, c'est la bonne ! Je sens que nous sommes pas au bout de nos surprises, regardez par le hublot comme elle est belle !
Il parlait des étoiles comme des femmes et des femmes comme des étoiles.
- Maintenant il suffit d’accélérer les moteurs, de rectifier la trajectoire et on sera en orbite !
Il s'installa devant le tableau de bord et entama les manœuvres. Pendant ce temps William et Tsiolkovski étaient fascinés par les majestueuses couleurs de l'étoile. A travers la vitre, qui se teintait selon l'intensité lumineuse, l'astre était entièrement rouge, mais parcouru de milliers de filaments bleus, de ceux qui percent en été parfois entre les feuilles des arbres lorsqu'on regarde bien. Soudainement, de belles éruptions d' hydrogène et de plasma venaient aussi majestueusement craqueler l'écorce de lave et finissaient par s'évanouir. Certaines duraient de longues secondes et puis disparaissaient quand même. Ce jeu de nuances et d'éclats de lumière était d'une splendeur fulgurante.William se demandait presque ce qu'ils allaient bien pouvoir découvrir d'aussi merveilleux ; la découverte de cette géante rouge aux rayons azurés était déjà quelque-chose d'incroyable. Il essaya d'imaginer ce que pensait à ce moment le théologien, plongé lui aussi dans une contemplation que rien n'aurait pu déranger. Il devait reconnaître, là, devant lui, dans cette beauté incandescente, la grâce et l'intelligence d'une création divine. Le capitaine, au contraire, devait y voir une simple et magistrale démonstration que la nature se passait bien de toute divinité pour éclater de lumière et combattre les obscures immensités de l'espace. William, lui, ne pouvait pas trancher entre ces deux interprétations. Elles n'étaient au fond que des interprétations, rien de concret. Rien de scientifique.

Le capitaine avait arrêté tous les moteurs. C'était bon ; le vaisseau avait maintenant acquis assez de vitesse pour devenir un satellite provisoire d'Aludra. Il n'y avait plus un seul bruit dans la cabine, l'étoile n'en devenait que plus fascinante, c'était comme si le temps venait de se figer. Mais quelque chose brisa brutalement ce silence, un bruit aigu et électronique sortant du tableau de bord. Ils le reconnurent tous les trois. Ils l'avaient entendu plusieurs fois pendant le voyage. Il se déclenchait lorsque le vaisseau s'approchait d'un corps céleste, tel qu'une comète ou un astéroïde. William et le « russe » détournèrent enfin leur regard du hublot. Le capitaine fit cesser le signal et regarda sur l'écran principal. En effet, au fur et à mesure que le vaisseau décrivait son ellipse orbitale quelque chose semblait apparaître à droite de l'étoile.
- C'est probablement un astéroïde. Un astéroïde de plusieurs kilomètres.
- Mais il n'est pas répertorié alors ! Nos observations depuis la Terre n'indiquent aucun astéroïde de ce côté là !
- C'est sûrement dû au fait que depuis le référentiel terrestre, il ne passe pas devant l'étoile, et donc il n'altère pas la luminosité perçue de celle-ci. Or à cette distances, c'est la seule chose qui peut nous indiquer la présence d'une planète ou d'un astéroïde.

Le capitaine avait sans aucun doute raison, mais ce qui intrigua tout de suite William, c'était la rapidité avec laquelle le Santa-María s'approchait de l'objet. Le tableau de bord indiquait qu'à sa vitesse actuelle, le vaisseau allait le rattraper dans moins de trois minutes. Aucun moteur n'étant en marche, il était étonnant qu'ils rattrapent aussi rapidement un autre corps céleste en orbite. Est-ce qu'il venait vers eux ? Le capitaine avait l'air légèrement anxieux, il devait se dire la même chose. Il alluma deux réacteurs latéraux afin d'éviter toute collision et fit en sorte que le vaisseau se rapproche d'une façon plus contrôlée vers le présumé astéroïde. Entre temps, William ordonnait aux différents capteurs analytiques de dresser  le  profil et les dimensions de leur découverte. Soudain, il eut accès à des données qui le surprirent beaucoup. Il prit la parole, un peu excité :
- L'ordinateur me donne des informations totalement illogiques ! Premièrement, il semble ne pas reconnaître la matière qui constitue l'astéroïde, comme si c'était une matière encore non répertoriée durant l'ensemble de toutes les expéditions spatiales de... l’humanité. D'autre part, fait plus étrange encore, il dit que cet objet mesure environ 8 484 mètres de longueur, qu'il est parfaitement immobile et qu'il ne subit aucune attraction vers l'étoile.
- C'est impossible, s'écria le capitaine, c'est purement impossible qu'un objet reste en suspension dans l'espace si près d'une masse aussi importante ! Aludra est à peu près 15 fois plus lourde que le Soleil ! Un objet, dans ces conditions, soit il tourne, soit il tombe, mais il ne reste pas immobile !
- Tout indique que c'est pourtant le cas.
- Alors c'est un vaisseau habité. Un vaisseau qui se maintient immobile grâce à un système de propulsion compensatoire comme ce serait possible de faire avec le Santa-María si nous voulions faire du surplace.
- L'ordinateur affiche également qu'il n'y a aucune mécanique de propulsion depuis cette... chose qui a tout l'air d'un astéroïde pour l'instant.
- C'est impossible, répéta le capitaine pour la troisième fois ne trouvant pas de mot plus adapté, ça remet en question les lois les plus fondamentales de la physique !
- Peut-être qu'on encore des chose à apprendre, là où on ne s'y attendait pas, répondit William.
Kaeso Tsiolkovski sorti enfin de son  mutisme.
- Ou alors vous allez devoir reconnaître qu'on tient enfin notre miracle.
Le capitaine secoua la tête pour se débarrasser de cette idée.
- Il faut qu'on étudie ça de plus près, quitte à utiliser le moins de matériel et le plus de connaissances possible. Nos instruments de mesure sont peut-être perturbés par quelque-chose d'inhabituel.
- Mais ils ont toujours pourtant très bien fonctionné quelque soit le milieu ! s'exclama William.
- Jusqu'à maintenant. Nous allons devoir vérifier ça nous même. Et dans quelques secondes, le temps au vaisseau de se positionner, on pourra observer cette... chose... depuis le hublot principal.
Les trois spationautes scrutaient la vitre surplombant tableau de bord avec attention.
Quelques secondes passèrent sans rien, puis vint le moment fatidique. Il était là. Devant leur yeux ébahis. Immense. Immobile. Et plus immaculé que toute les neiges du monde. Lisse. Dépourvu du moindre cratère. Un astéroïde comme ils n'en avaient jamais vu auparavant. Sa forme rappelait bien quelque chose à William, mais il n'arrivait pas à savoir quoi. Il ferma ses paupières un instant pour se concentrer et la voix de la jeune fille apparu soudainement dans sa tête :
- Pomme de Terre ou pomme de Lune ?
Il rouvrit les yeux, rien n'avait changé, le vaisseau s'était maintenant stabilisé en face de l’astéroïde blanc, ils devaient être à un peu moins de trois mille mètres de lui. Tsiolkovski semblait avoir raison, c'était un véritable miracle qu'ils avaient devant eux.


Le Capitaine se tourna vers William.
- C'est toi le plus calé de l'équipe en minéralogie. Alors à quoi te fait  penser cette couleur blanche  ?
- Hum... Ça ne peut pas être de la glace, les températures autour d'Aludra ne le permettent pas. C'est peut-être un astéroïde de type M, constitué d'un mélange nickel-fer avec une surdose inhabituelle de nickéline ou de cavorite blanche... ou alors quelque-chose de très différent, une matière à base de carbonate de calcium, de la craie ou... un composant de la nacre ? Oui, il y a peut-être de l'aragonite... Il est très envisageable que ce soit une roche calcaire, mais c'est étonnant que l'ordinateur ne l'ait pas reconnu... En fait, je dois bien avouer que pour l'instant, je ne peux vraiment rien déterminer.
- Tu me diras, si c'est de la nacre, ce n'est pas étonnant que l'ordinateur ne l'ait pas deviné, on trouve rarement de si gros coquillages dans l'espace ! plaisanta Tsiolkovki.
- La forme de cette astéroïde me dit vraiment quelque-chose, reprit William, mais je n'arrive pas à déterminer quoi... Ça me rappelle peut-être quelque-chose qui n'a aucun rapport. Peut-être un forme de cristallisation atypique que j'ai déjà croisé un jour en étudiant des roches lunaires... Je ne sais plus. Il faut aller l'étudier de nous-même, le sonder et tenter d'en récupérer un échantillon pour tenter d'analyser sa structure atomique et moléculaire.
- Tu veux que je pose le vaisseau dessus ? demanda le vieux pilote.
- Non, je pense que la puissance de feu de nos réacteurs risqueraient de l’endommager, par contre, si tu pouvais t'approcher à une distance de 50 mètres environ, j'enfilerai un scaphandre à propulsion et j'irai faire un prélèvement et quelques premières mesures.
- Seul ?
- Il n'y a pas de danger apparent. Si j'ai besoin d'aide Tsiolokovski pourra venir m'aider pendant que tu resteras au commande du vaisseau.
Kaeso acquiesça. Il appréciait sortir du vaisseau et évoluer librement. Le théologien ayant maintenant passé autant de temps dans ses livres que dans l'espace se définissait, malgré ses connaissances réduites en astrophysique, comme un spationaute avant tout. Le capitaine manœuvra le vaisseau avec douceur, pour être sûr de garder une certaine distance entre les réacteurs et l'astéroïde. Pendant ce temps William alla chercher le strict matériel nécessaire, une sonde laser à vibration, un scanner tridimensionnel, et une microforeuse-préleveuse. Il réunit le tout dans le compartiment arrière de sa combinaison spatiale qu'il enfila et demanda au capitaine de le prévenir quand il aurait terminé ses manœuvres. Une minute après, le capitaine lui fit signe que c'était bon. Alors il ouvrit le premier sas, le referma derrière lui, il devait encore répéter l'opération deux fois enfin de pouvoir enfin sortir du vaisseau. Enfin dehors et ayant refermé le dernier sas, il resta quelques instants à contempler les rayons de l'étoile découper les courbures planes de l'astéroïde. Au moment de faire le bond, il entendit une voix dans sa tête.
- Pomme de Terre ou pomme de Lune ?

Mais la voix dû se taire devant le ronronnement des micro-réacteurs à répulsite, qu'il venait d'actionner et qui lui permettait de s'approcher lentement de leur fascinante découverte. Il avançait avec légèreté et fluidité, il avait l'impression d'être immobile comme une statue, la tête plongée dans un bocal à poisson rempli d'air conditionné, mais il était pourtant animé d'un mouvement à la fois doux et puissant. Il n'avait pas le vertige, à vrai dire, au bout d'un moment, le concept même de vertige était dépassé. Le vertige était un sentiment dû à la perte des repères, mais ce sentiment était lui-même un repère niché dans le cerveau humain, un avertissement. Or, là, dans ces conditions, même ce dernier repère le plus enfoui était perdu, ce que pouvait ressentir William à ce moment là, n'était à la limite que le vertige de l'absence de vertige. Beaucoup plus profond encore en lui, c'était une sorte de sensation intérieure qui venait questionner l'essence même de son existence. Sortant de ses réflexions, William tenta une expérience. Il tenta d'envoyer un message radio au vaisseau. Un voyant rouge s'alluma pour lui faire comprendre poliment que les conditions électromagnétiques extérieures n’étaient pas favorable à une circulation correcte des ondes radio. William haussa les épaule dans son imagination, (car s'il l'avait fait en vrai ça l'aurait légèrement détourné de sa trajectoire). Après tout, ils n'avaient pas passé des heures à étudier le LSS, le Langage Spatial des Signes pour rien, il s'en servirait si besoin. Tsiolkovski et le Capitaine tentèrent apparemment la même expérience depuis le vaisseau car le voyant rouge se ralluma avec un déclic et s’éteignit aussi tôt. William n'était enfin plus qu'à quelque mètres, il lui fallait se retourner pour ne pas asterrir à plat ventre (asterrir était le terme consacré pour l'action d'atterrir sur un astéroïde). Il donna une petite et agile pulsion du pied qui le fit tourner lentement et lui permit de se poser en positon debout. Un petit pivot pour l'Homme mais un grand tournant pour l'humanité, se dit-t-il pour détendre l'atmosphère, même s'il était seul et que l'astéroïde n'en comportait pas. Il regarda autour de lui, il eut un peu l'impression de fouler une plaine recouverte de glace sur laquelle aucun patineur ne s'était encore risqué. La proximité de l'étoile ne suffisait pas à dissiper cette illusion. Il leva les yeux, il aperçu les silhouettes du Capitaine et de Tsiolkovski qui le regardaient à travers le hublot grossissant. Puis William disposa le scanner tridimentionel à ses pieds, l'activa, et recula d'un pas, des rectangles lumineux rouges parcourus de ligne de code défilèrent devant des yeux pendant un cours moment, puis le scanner s'éteignit, son travail était terminé. Ils n'auraient plus qu'à le brancher à l'ordinateur pour récolter la masse et les dimensions exacte de l'astéroïde. William sortit alors de derrière son dos la sonde à vibration et rangea le scanner. La sonde demandait un peu plus de main d’œuvre. Il fallait maintenir la sonde fermement contre la surface du sol et un laser à vibration traversant les profondeurs du sol s'occupait du reste. Ils allaient bientôt savoir s'il y avait des cavités et des contrastes de densité à l’intérieur de ce satellite mystérieux. L'opération dura trente secondes. Il ne lui restait plus qu'à prélever un infime échantillon de cette sorte roche encore non-identifiée et il pourrait revenir sur le vaisseau.


Tout s'était très bien passé. William était maintenant rentré depuis quelques minutes, il avait ôté son scaphandre spatial et s’affairait déjà dans l'atelier-laboratoire à consulter les informations récoltées. Pendant ce temps l'ordinateur central analysait l'échantillon d'astéroïde. Le Capitaine et Tsiolkovski étaient assis derrière lui et attendaient le verdict. William prit la parole.
- L'échantillon est toujours en cours d’analyse mais j'ai déjà des informations très intéressantes, l’astéroïde est très léger par rapport à ceux que l'on découvre d'habitude et surtout par rapport à sa taille. Ce n'est donc assurément pas un astéroïde de type M contenant des métaux dans sa constitution. Sa légèreté est apparemment en partie dû au fait qu'à l’intérieur, vers le centre, il y a des cavités organisées comme celle d'une éponge. En fait, d'après les informations du scanner et de la sonde, on peut le diviser en deux régions distinctes, l'une dure, solide et rigide qui recouvre toute la surface et l'autre plus friable, moins solide et plutôt située à l’intérieur... Attendez ! C'est bon ! L'analyse de l'échantillon est terminé !
Le chimiste regarda l'écran de l'ordinateur, et écarquilla les yeux. La tension était palpable. Il se retourna lentement vers ses compagnons de voyage. Sa voix avait radicalement changé lors qu'il prononça ces mots   :
- C'est un os.
- Hein ?
- Quoi ?
- L'ordinateur nous l'affirme, et à vrai dire tout coïncide : c'est un os.
- Non, mais attends...
- Ce que tu dis n'a aucun sens !
William se rappela avoir prononcé ces derniers mots dans son rêve...
- Que vous le vouliez ou non, nous venons bel et bien de découvrir un os de plus de huit kilomètres de long.

Un court silence accueillit cette affirmation.
- Mais enfin... quel animal pourrait avoir des os aussi grands ? s’intrigua le capitaine.
Tsiolkovski sembla être traversé par une idée, ça se voyait sur son visage, mais il n'ajouta rien de plus à la question du capitaine. William jeta à nouveau un coup d’œil vers l'écran d'où venaient ces informations.
- Ce que je vais faire n'a peut-être aucun sens, mais je vais demander à l'ordinateur d'analyser l'ADN de l'os pour voir ce qu'il va en conclure.
L'ordinateur s'exécuta très rapidement et il ne tarda pas à répondre tout naturellement à la requête comme si elle n'avait rien de complexe. William, stupéfait, se retourna encore une fois vers ses camarades.
- C'est un os humain.
- Hein ?
- Quoi ?
- C'est un os humain ! Voilà, ça me revient, bordel de putain de putain de bordel de merde ! Ses formes m'étaient familières, parce qu'en fait, je les ai rencontré souvent dans mes livres d'anatomie. Cet astéroïde a la forme exacte d'une phalange humaine !
Il ouvrit le dossier médical de l'ordinateur, en navigant de sous-dossier en sous-dossier l'écran finit par afficher la main droite d'un squelette humain, William zooma sur l’extrémité de l'index.
- Alors ça ne vous rappelle rien  ? Notre soi-disant astéroïde est la phalange distale d'un index humain !
- En effet, c'est troublant à quel point les courbes et la couleur correspondent avoua le capitaine, mais les dimensions n'ont rien à voir...
- Maintenant que tu le dis, je crois que je m'étais fait la réflexion, tout à l'heure, que l'astéroïde ressemblait à une relique de Saint-jean Baptiste que j'avais pu voir lors d'un pèlerinage... Mais là je suis un peu dépassé par les informations absurdes que tu viens de nous donner...
Tsiolkovski, s’arrêta de parler, car William faisait une tête telle qu'on l'aurait cru être en train de percevoir la Grâce de Dieu.
- Mais en fait tu as raison, Tsiolkovski, c'est une relique ! Et pas n'importe quelle relique, Nietzche avait raison sans le savoir ! Gott ist tot  ! Dieu est mort  ! Cette phalange, si ce n'est pas une phalange humaine, à cause de sa taille, ça ne peut être que la phalange de Dieu  !
William était transformé.
- Hum... ce n'est pas vraiment ce que j'avais dis, corrigea inutilement Tsiolkovski. Et j'ai beau devoir avouer n'être pas un grand lecteur de Nietsche, je crois qu'il ne l'entendait certainement pas de cette oreille...
- Mais oui, enfin, William, qu'est-ce qui te prend ? Je ne reconnais plus l'Agnostique que tu étais jusque là. Tu as toujours dit que tu n'avais pas la foi en Dieu  !
- Mais si je n'avais pas foi en Dieu, c'est parce que j'avais foi en la science  ! Alors si la science m'ordonne de croire que Dieu a existé, je ne vais pas cesser de croire en la science ! Je vais juste commencer à avoir foi en  Dieu  !
-Tu viens de dire dans deux phrases consécutives que la science t'interdisait et t'ordonnait de croire en Dieu.
- Mais oui, parfaitement, la science m'interdisait de croire en Dieu jusqu' à aujourd’hui ! Mais maintenant tout à changé, on a, à la fois la preuve que Dieu a existé et que Dieu n'existe plus  !
- Ce satellite d'Aludra...
- ...ne peut pas être un os de Dieu, William.
C'était le capitaine qui avait commencé la phrase et Tsiolkovski qui l'avait fini. A cette seconde, peut-être bien pour l'une des premières fois de l'histoire de l’humanité, un athée et un catholique venaient de s'entendre à merveille sur une question profondément religieuse. Bien qu'ils ne le pensaient pas pour les mêmes raisons, ils pensaient la même chose. Pour le capitaine et le russe, une chose était sûre, quand bien même cet astéroïde pouvait d’avérer être un os de plusieurs kilomètres : Dieu ne pouvait pas mourir et cet astéroïde n'était pas l'un de ses os. Pour le capitaine, il était clair que Dieu ne pouvait pas laisser de cadavre car il n'avait jamais existé, et pour Tsiolkovski, Dieu était sans l'ombre d'un doute un être éternel et donc on ne pouvait pas découvrir son cadavre. L’inexistence et l'immortalité trouvaient ici un point d'entente.

William se calma un peu, surpris par cette réunification inattendue entre des opinions radicalement opposées d'habitude. Il reprit la parole avec plus de douceur.
- Je suis obligé de dire les choses les plus improbable qu'il soit et pourtant c'est moi qui ai la démarche la plus scientifique de nous trois. Je me base sur les observations tandis que vous, vous vous basez uniquement sur votre façon de penser l'univers. Capitaine, tu peux aller vérifier par toi-même les données qu'affichent l'ordinateur, si tu me crois devenu fou, mais en tout cas, il va falloir qu'on débatte sérieusement et dans les règles de l'art.
- William, je ne te crois pas devenu fou, ça fait plus de vingt ans qu'on se connaît et ça fait plus de vingt ans que je te fais entièrement confiance, et ça, ça ne va pas changer aujourd'hui. Je n'irais pas vérifier, je te crois sur parole quant aux faits, en revanche, j’émets de sérieux doutes quant à leur interprétation. Je pense aussi qu'il va nous falloir réfléchir très sérieusement à toutes les informations que nous avons récoltés.
- Moi je crains qu'on finisse par s'enliser à vie dans un débat stérile, avança Tsiolkovski.
- Alors, j'ai une idée, s'exclama William qui était encore loin d'avoir dépensé toute son énergie. Vous êtes d'accord pour dire ce qui nous importe à tous les trois ce n'est pas de prouver quelque-chose que l'on pense, mais c'est de dénicher la vérité dans cette histoire  ?
- Oui.
- Oui, parfaitement.
- Et, alors que je pense que cet astéroïde est une phalange de Dieu, vous, vous êtes tous les deux d'accord pour dire que ce n'est pas le cas ?
- Exactement.
- En effet, mais je ne vois pas où tu veux en venir...
- Très bien, si vous le voulez bien, on va utiliser la méthode hétéromaïeutique de Vernsback.
- Hétéroma...quoi de Verns...qui  ? s'étrangla presque le capitaine.
- Désolé de prendre un ton professoral mais Jules-Hugo Vernsback était un philosophe néoplatonicien luxembourgeois, qui a inventé, il y a près de 400 ans, vers le début de la deuxième  moitié du XXI° siècle, une méthode de débat très simple, inspirée de la maïeutique de Socrate rapportée par Platon et des jeux de rôles. Sa méthode a eu peu de succès pour des raisons évidentes, mais je suis convaincu de son efficacité scientifique. La voici : dans un premier temps le débat est traditionnel, chacun avance des arguments différents et on détermine assez rapidement qui pense quoi. (Ça, nous l'avons fait, à présent.) Mais dans un deuxième temps, les différentes personnes vont devoir défendre l'opinion exprimée étant la plus en opposition avec la leur. Et ce, en cherchant réellement des arguments pour étayer une proposition qu'ils n'approuvent pas du tout. Parfois, cette méthode donne des résultats étonnants, et redonne un sens au débat. Une troisième étape est possible où les personnes doivent défendre leur opinion originelle, mais avec le recul des contre-arguments qu'ils ont eux-même avancé. Cela demande de la confiance et aussi qu'aucun des participants ne soit de mauvaise fois.
- Je valide l'idée. On tente ? Tu en penses quoi Kaeso  ?
- Allons-y, après tout, ça peut être amusant de devenir l'avocat du diable !
- Ah ! Ah ! Je savais que je pouvais compter sur votre intelligence et votre esprit scientifique ! Donc on échange directement nos opinions vu qu'on connaît déjà celles des autres. A moi de vous convaincre que cette phalange de Dieu n'en est pas une, et à vous de me convaincre que c'en est une. Comme je suis seul contre deux, vous me laissez commencer, j'imagine ?!
- Bien entendu.
William se creusa la tête quelques instants et vint chercher au plus profond de son scepticisme, ou du moins de ce qu'il en restait, des arguments contraires à ce qu'il lui était maintenant naturel de penser. Assez rapidement, il trouva ce qu'il pouvait dire.
- Premièrement, l'astéroïde que voilà mesure plusieurs kilomètres. Deuxièmement, nos analyse nous informe que c'est une phalange humaine. Troisièmement une phalange humaine ne peut pas faire cette taille. Conclusion : Nos analyses sont mauvaises. Il n'y a pas d'autres explications à chercher.
Il ne pensait pas un mot de ce qu'il disait. Ce fut au tour du capitaine de jouer le jeu  :
- Non  ! Au contraire  ! Nos analyses sont les seules paramètres que nous pouvons considérer comme scientifiquement approuvés. Il faut se baser sur elles, elles ont été réalisé avec un matériel fonctionnel et très sophistiqué. Si elles affirment que l'ADN contenu dans cet os est humain, c'est que l'os a quelque-chose de profondément humain...
Tsiolkovski continua le raisonnement du vieux pilote qui semblait être sur le point de se perdre.
- Or, cet os, par sa taille ne peut très logiquement pas être celui d'un humain  ! Il appartient donc à quelque-chose de plus grand qui lui ressemble. Or, que nous dit la Genèse ? Dieu a créé l'homme à son image !
William se réjouissait que le Capitaine et Tsiolkovski aient autant d'abnégation envers leurs idées. Il réfléchit à un arguments très fort pour les remercier de si bien soutenir sa propre thèse et répliqua :
- Comment pouvez-vous parler de Dieu comme s'il était quelque-chose de palpable ? La Bible, que vous venez de citer, parle de lui comme d'un être parfait et éthéré, comment pourrait-il être constitué d'os ? Vous essayez de prouver qu'un astéroïde non-identifié est une relique palpable d'un corps immatériel dont on n'a jamais pu prouver l'existence ?
- Ah oui, mais si on refuse de voir la seule preuve qu'on devant nos yeux sous prétexte que l'on n'a pas d'autres preuves pour l’étayer, c'est totalement absurde, fit mine de s'emporter le capitaine. Et quelle explication scientifique peux-tu me donner pour justifier que le soi-disant astéroïde défie les lois les plus fondamentales de la physique classique ?
William constatant que Tsiolkovski était en pleine réflexion, décida de parler avant lui :
- Mais enfin ! La physique, à partir de quoi l'avons-nous théorisé ? Nous l'avons théorisé à partir de nos observations ! Alors si nos observations sont différentes de d’habitude, c'est que les lois physiques que nous observons sont simplement différentes de d'habitude ! Il n'y a pas de magie derrière tout ça !
Tsiolkovski parla enfin :
- Désolé d'interrompre ce débat un instant, mais je crois que j'ai peut-être un argument pour prouver, entre guillemets, que cette phalange est celle de Dieu, un bel argument, mais il faudrait que vous m'aidiez en faisant des vérifications que je ne saurais faire.
- Pas de problème, comment peut-on t'aider ? demanda William.
- Eh bien, si cet os est le reste d'un index, vers où pointe l'index ? Ne désignerait-il pas la Terre ?
William fit faire à l'ordinateur des choses qu'il n'aurait jamais penser faire, il extrapola l'extrémité d'un index autour de l’astéroïde. Et.... et le russe n'avait pas tort !
- Bordel mais en plus tu as raison ! L'index semble parfaitement désigner le système solaire !
- Voilà, Dieu pointe sa création ! Dieu montre où se situe la vie ! J'ai mon argument ! Ah ! Ah ! Même si j'aurai préféré me tromper, je dois avouer. Ça explique pourquoi l'astéroïde est immobile, il fallait qu'on puisse facilement déterminer ce qu'il pointait. Qu'as-tu à réponde à cela, William ?
- Je peux te répondre que ça n'est probablement qu'une coïncidence. Il y a toujours eu des coïncidences, il y en aura toujours.
- Peut-être mais ça fait beaucoup de coïncidences, tu remarqueras, pour un simple astéroïde.
- Mais ci c'est un os, si c'est un os de Dieu, où est le reste du squelette ? Une phalange toute seule, c'est bien peu pour déterminer à quoi ressemble l'être à qui elle appartenait.
- On a son ADN ! Tu sais bien que c'est largement suffisant ! fit mine de gronder le capitaine qui n'y croyait pas du tout. Quant au reste du corps, il est peut-être à la dérive dans l'espace, peu importe.
William se régalait de plus en plus de voir un anarchiste aussi profondément athée défendre corps et âme l'existence de Dieu, même mort.
- D'ailleurs, reprit le Capitaine, l'expérience de Kaeso m'a donné une idée à moi aussi. Et si nous dations la mort de Dieu en utilisant le comptage du carbone 14 résiduel dans l'échantillon d'os ?
- Encore une fois, ça n'a aucun sens, répondit William, puisqu'il y a peu de chance que du carbone 14 se soit fixé sur les os d'un dieu qui semblait vivre dans l'espace. Mais d'accord, on n'a qu'à tenter.
William demanda à l'ordinateur de lancer cette analyse mais celui-ci fut soudainement parcouru d'un dysfonctionnement informatique. Ils ne purent donc pas connaître le résultat de l'expérience.

Les lumières du vaisseau se mirent subitement à clignoter sans raison, et le vaisseau fut parcouru de violentes secousses.
- Bordel de putain de bordel de putain de merde ! Qu'est-ce qui se passe ? s'écria William.
- Je ne sais pas, répondit le capitaine, et il n'y a pas de hublot dans cette partie du vaisseau, il faut absolument que l'on revienne tous à la cabine de commande, vite !
Les secousses semblaient ne pas vouloir s'arrêter, les trois spationautes se dépêchèrent de quitter l'atelier-laboratoire. Tsiolkovski et le vieux pilote se tinrent très fermement aux rampes qui parcouraient le couloir. William, n'ayant pas pris cette précaution assez tôt, fut projeté violemment vers l'avant dans une secousse inexplicable. Cette convulsion déclencha un strident système d'alarme qu'ils n’avaient encore jamais entendu. William se rattrapa de justesse à un câble qui longeait la paroi de la cabine. De là où il était, il ne pouvait pas atteindre le tableau de bord, mais de toute façon, il n'aurait pas su le manipuler. En suivant ce câble des yeux, il s’aperçut qu'il était relié à la capsule d'alerte. Puis il vit le capitaine se déplacer tant bien que mal vers le tableau de bord en criant et fixant le hublot :
- L'astéroïde a disparu ! L'os n'est plus là ! Et.. et je crois qu'on se rapproche de l'étoile !
William le revit ensuite essayer de stabiliser le vaisseau, mais le tableau de bord ne répondait plus, il se contentait de clignoter au rythme des autres lumières.
Tsiolkovski était resté cramponné à sa rampe et semblait ne vouloir la lâcher pour aucune raison.
L’ébranlement du vaisseau s'intensifia encore et le capitaine n'y pouvait rien, le tableau de bord avait fini par s'éteindre complètement et même l'alarme ne fonctionnait plus, alors William s'empara de l'enregistreur de la capsule d'alerte et laissa ce dernier message :

« - Ici, William Bayle, médecin, biologiste, minéralogiste, chimiste, physicien et astrophysi... bref, à bord du Santa-María qui était, jusqu'il y a peu de temps, en orbite autour d'Aludra. Je suis en compagnie du Capitaine Morgam-Cei, et du... et du théologien Kaeso Tsiolkovski, ils sont encore conscients mais hors de portés du micro, c'est pourquoi je parle en leur nom. Avec ce message vous recevrez le compte rendu complet de nos dernières découvertes, ce sera à votre tour de les interpréter du mieux que vous pouvez....pour une raison inconnue nous perdons le contrôle du vaisseau. Ce message a pour seule finalité de saluer nos familles, nos amis... et la Terre... une dernière fois. Il semble que nous plongeons vers l'étoile. Adieu. »

Dans le chaos général, ni William ni personne d'autre n’eut la possibilité de remarquer le nombre 1882 qui clignotait sur tous les écrans de l'atelier-laboratoire. Après avoir enregistré ses dernières paroles d'adieu un peu précipitamment, William eu tout juste le temps de transférer l'ensemble de leurs récentes analyses dans la capsule d'alerte et d’enclencher son système de lancement. Elle partit aussitôt dans une grande déflagration. A ce moment, le vaisseau eu un spasme si grand qu'ils lâchèrent tous ce qui les retenait et ils vinrent tout les trois s'écraser contre la vitre du hublot d'observation. La vitre tint bon. Mais pas l’arcade sourcilière de Kaeso qui s'était fendue sous le choc. Kaeso se releva difficilement, en gémissant de douleur et en appuyant sa main sur sa tempe. William se demandait comment tout cela allait finir. Le capitaine semblait être totalement dépassé par la situation. Et soudain, plus rien. Les secousses s’arrêtèrent. Comme si le vaisseau s'était stabilisé par lui-même. Pendant quelques fractions de seconde ils se regardèrent, tous profondément étonnés. Puis leur regard fut attiré par quelque-chose qui se passait derrière la vitre. Une immense lumière blanche et aveuglante s'engouffra dans le vaisseau. William regarda fixement devant lui, puis fut forcé de fermer les yeux, il entendit une petite voix fluette lui demander instamment :

- Pomme de Lune ?

Alors, il essaya de rouvrir ses paupières, et quand il y parvint, il pu constater que Kaeso ne s'occupait plus de sa blessure, mais qu'ils étaient, tous les trois, en face du hublot et qu'ils étaient, tous les trois, le catholique, l'agnostique et l'athée, en train de prier Dieu.







FIN







Je voue un culte à la tomate. William Bayle.
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