Le soupir

Faut pas pleurer, t'as pas le droit. Est-ce qu'il s'en ficherait ? Est-ce qu'il serait désolé ? A-t-il vraiment que ça à foutre ? Ils se sont trouvés, ils sont ensembles, ils s'aiment. T'as pas le droit de pleurer, ce serait égoïste de ta part.
Espèce d'idiote, tu croyais vraiment que l'amour allait tomber du ciel ? C'est un ami, juste un ami, rien qu'un ami. Et rien d'autre. Alors pourquoi ça fait mal ? Pourquoi ton coeur vient de perdre un autre morceau ? Tu ne peux pas pleurer et tu ne le veux pas. Ce serait admettre une nouvelle fois que l'on peut toujours planter quelque chose en toi. Même une épingle minutieusement enfoncée dans ton crâne. Tu te l'es enfoncée toi-même, en lui avouant tes sentiments. Elle s'est dès lors, enfoncée plus loin, à cause de ce refroidissement entre vous deux. Et tu croyais quoi ? Que ça allait continuer comme ça jusqu'à la fin ? Cette petite épingle qui te triturait le crâne, la voilà qui a été enfoncée d'un coup. Elle est partie se planter dans ton coeur, elle y est toujours. Qu'est-ce qu'il va falloir faire pour qu'elle parte ? Cette épingle qui t'achèveras peut-être.

Mais merde, ça fait trop mal. Qu'est-ce que j'ai fait pour être comme ça ? J'ai fait quoi pour être maudite pour l'amour ? Ce gros coeur qui attire les gens comme les fleurs attirent les abeilles. Je suis maudite, je suis laide. Mon corps est laid. Mes cheveux merdiques. Ma bouche trop bavarde. Mes seins qui tombent. Ma malformation sous le bras. Mes orteils difformes. Je suis laide, je suis stupide, je suis maudite. Je ne croyais en rien, maintenant, je ne sais même plus ce que cela veut dire. Maudite de naissance ? De génération ? Au hasard ? Il faut bien un bouc émissaire, un mouton noir, un cabeza de turco, sinon, c'est moins marrant. Je me hais et je veux que le monde s'aime. Mission accomplie, non ? Ils s'aiment, pas vrai ? Alors pourquoi je veux détruire les murs ? Pourquoi je veux briser les fenêtres ? Pourquoi je veux fracasser les meubles ? J'ai pas le droit de pleurer. Et parmi tout ça, il est quoi ? C'est un ami, juste un ami, rien qu'un ami. Qui s'est trouvé quelqu'un, qui est sans aucun doute heureux tandis que je retiens ces putains de larmes de couler. Il n'est pas cruel, il est gentil. Il est même adorable et je l'aime. J'ai des sérieux doutes quant à ma façon d'aimer. Pourquoi c'est comme ça ? Pourquoi peu de temps après que j'ai ouvert mon coeur à une personne, cette dernière se retrouve en couple ? Est-ce une manière de procéder pour que le monde s'aime ? Est-ce parce que personne, au grand jamais, ne veut de moi ?

C'est quoi toutes ces questions ? Tu le sais que personne ne veut de ton amour. Rappelle-toi. Ceux qui t'ont dit oui, ils voulaient du sexe, ils voulaient te mettre dans leur lit. Et quand elles ont dit oui, c'était sans doute un jeu. La première qui ne te recontacte plus pendant plusieurs moi, et la seconde qui te donne, pour Noël un merveilleux cadeau : elle te quitte. Tu es maudite, ne doutes pas de ça, tu as assez de preuves comme ça. Mais pleures pas, petite idiote, c'est tout à fait normal, tu vis avec ça depuis toujours, tu le sais que tu n'as pas le droit au bonheur. Ce sont les autres, eux, eux qui ont le droit d'être heureux. Espèce d'imbécile. Pleures pas j'ai dit, c'est lassant à la fin, ces reniflements, ces yeux bouffis et rouges. On a compris que t'es laide et folle, on a compris qui tu n'attirais personne. Non, ne te mets pas à chialer.
Et pourquoi ?
T'as dit que tu t'en fichais.
Tant mieux.
Sure ?
Nan.
Alors ?
... Ça fait mal. Merde. Maman, papa, vous n'avez plus tellement confiance en moi, c'est ça ? Eh ben, je n'ai plus du tout confiance en moi.